Le temps en ce début de matinée est en raccord avec mes nerfs en pelote.
Gris.
Orageux.
Sans l'ombre d'un nuage de pluie, si la foudre se décide à se montrer cela sera violent sans aucun doute.
Nous avons dû faire une halte à ma maison d'enfance afin de récupérer ma voiture, car on ne rentre pas comme ça sur le domaine de Théo. Ma plaque d'immatriculation est enregistrée dans leur ordinateur, sauf si bien sûr, il l'a fait effacer, mais ça m'étonnerait fortement de lui, il ne pense pas à ce genre de chose futile et pourtant...
- Attends ? Ça, c'est ta voiture ? Siffle mon compagnon de route.
Ce bijou appartenait à mon père. Mon seul héritage avant cette nuit-là. Mes doigts touchent le capot de la voiture d'où une fine couche de poussière couvre la peinture. Je ne l'ai pas sortie depuis des mois, j'ai si peur de la casser ou ne serait-ce de l'abîmer.
C'est tout ce qu'il me reste de lui... Mais aussi mon seul et unique moyen de rentrer sur le domaine de Théo.
- Mon père était passionné par les voitures.
- Je peux ?
J'hoche simplement la tête devant son air émerveillé. Elle fait souvent cet effet-là sur les personnes.
Il avait tout refait du début à la fin, flashant dessus alors qu'elle n'était qu'une épave mangée par la rouille, à certains endroits l'habitacle était complètement ruiné par les souris. Et pourtant, il a réussi à lui redonner vie, sa peinture noire brille au reflet de la lumière du garage.
Le vrombissement du moteur me fait sursauter, un doux son qui me rappelle tellement de souvenirs. Des heures et des heures à passer le capot levé moi assise sur les genoux de mon père la tête penchée au-dessus du moteur tandis qu'il me montrait chaque pièce utile au bon fonctionnement de la bête.
J'arrive presque à entendre son rire gras franchir ses lèvres à mes questions, tandis qu'il plongeait les mains dans le cambouis.
- Anna ?
J'essuie la larme solitaire qui coule le long de ma joue avant de me retourner vers Silas qui a pris place au volant de la voiture le buste penché dans ma direction. Je prends place côté passager préférant garder le silence face à son regard interrogateur. Il y a parfois des moments où le silence est réconfortant, plongeant dans l'abysse de nos souvenirs. Les miens sont encore trop douloureux pour réussir à les formuler correctement. Mettre des mots sur nos maux est parfois plus compliqué qu'on ne le pense, car à tout moment l'on peut partir chavirer à la dérive et s'enfoncer dans les profondeurs de l'océan, noyé par notre propre chagrin.
Une simple musique, une simple série télévisée vous ramène à des moments du passé pourtant si joyeux, mais qui vous font si mal aujourd'hui pesant comme une pierre au fond de votre estomac dont vous n'arrivez pas à vous débarrasser.
La seule chose qui m'empêche en cet instant de craquer, c'est la chaleur de la main de Silas posée sur mon genou. Il est devenu pour moi l'ancre de mon bateau, pourtant la peur irrationnelle qu'il me laisse, qu'il m'abandonne tout comme mon père l'a fait, ne cesse de croître dans ma poitrine.
Reprenant rapidement mes esprits, j'indique à Silas de se garer sur le bas-côté de la route, afin de prendre le volant. Ils ont beau connaître ma voiture et ma plaque, si ce n'est pas moi qui conduit, ils n'ouvriront jamais.
Une boule d'angoisse se forme doucement au creux de mon estomac à la vue du manoir qui se dessine devant nous, je n'ai pas remis les pieds ici depuis une année déjà, le temps passe si vite et en même temps si lentement.
Je ne sais même pas comment ils vont réagir face à ma venue, j'ai disparu du jour au lendemain sans pouvoir leur donner d'explication et ça me fend le cœur rien que d'y penser, car ils avaient pris une part importante dans ma vie. Comme une deuxième famille que l'on m'a enlevée contre ma volonté.
- Nom ?
- Anna Martinez
Je ne le connais pas. Je suppose que beaucoup de choses ont changé ici.
Il parle dans son oreillette avant d'appuyer sur un bouton dans sa main qui ouvre le portail.
Sans attendre, je ferme ma vitre et m'introduis sur la propriété le cœur au bord des lèvres. Plusieurs berlines sont garées sur le parking me donnant des sueurs froides, ils sont visiblement tous ici ou bien, il reçoit actuellement du monde.
Nom d'une pipe.
Mais qu'est-ce que je fiche ici moi.
La chaleur de la main de Silas fait pression sur mon genou comme s'il avait senti mon stress monter d'un cran.
Le grondement du tonnerre me fait lever les yeux vers le ciel qui se couvre à chaque minute qui passe, nous nous dirigeons vers la porte principale gardée par deux hommes.
- Suivez-nous.
J'ai envie de leur dire que je peux très bien me débrouiller seule ici, ce manoir n'a plus le moindre secret pour moi, je connais la moindre cachette, la moindre faille. J'ai passé tellement d'heures et de journées à arpenter chaque pièce que même le personnel ne se doute pas un instant qu'ici se trouve un couloir caché, derrière ce petit sofa vert qui n'a visiblement pas bougé de place.
Nous arrivons dans la salle à manger, remplie d'hommes à chaque coin de la pièce. Bon sang, mais pourquoi y a-t-il autant d'hommes armés ici ?
Ce n'est pas normal et visiblement Silas à l'air de le penser à la façon dont sa main s'accroche vivement à son arme accrochée à sa ceinture, à tout moment une balle pourrait nous transpercer le cœur.
Des voix s'élèvent rapidement dans l'air comme si une dispute avait lieu près de nous, la voix d'une femme se rapproche ainsi que des talons qui claquent sur le sol marbré. Une tête rousse apparaît sur le pas de la pièce, rapidement un sourire se fend sur son visage à ma vue elle avance vers moi, mais ses pas s'arrêtent subitement tandis que mon compagnon de route pointe l'un de ses couteaux dans sa direction elle lève les bras.
- Sérieusement ?
Je pose ma main sur son bras.
- Tout va bien, lui dis-je
La petite tête rousse arrive vers moi, m'encercle de ses bras et lâche un long souffle dans mon dos.
- Bon sang que c'est bon de te serrer dans mes bras ma belle
Je resserre mon étreinte autour de ses épaules moi aussi émue de voir que malgré tout rien n'a l'air d'avoir changé entre nous. Ma seconde. Ma deuxième main. Plus qu'une amie, une véritable sœur.
- Enchanté, Abby
Silas serre la main qu'elle lui tend mais pour autant je peux voir qu'il reste sur ses gardes, ce que je comprends totalement. Il ne connaît personne, pour lui ce sont ses ennemies, je serais pareil si j'étais à sa place.
- Quelle surprise, tonne une voix
Théo.
Appuyé contre l'embrasure de la porte les yeux rivés sur nous. Il n'a pas changé sa beauté est toujours à couper le souffle et pourtant je ne ressens plus cette petite étincelle enflammer mon bas-ventre, ce cœur qui ne s'emballe plus en sa présence. Comme s'il avait définitivement guéri de notre relation après des mois à essayer de recoller les morceaux.
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Un coeur pour deux
RomanceAprès le décès subit de sont père, Anna cherche à se reconstruire auprès de ses proches. Mais quand sont petit-ami, qu'elle pensait être l'amour de sa vie, l'abandonne. Tout s'effondre. Se réfugiant dans le travail de sa boutique. Jusqu'à se qu'...