Chapitre 16

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  Les heures se sont écoulées si lentement que j'ai cru un instant ne jamais voir la fin de cette journée au shop. Un endroit qui pourtant m'apporte paix et sérénité, mais c'est comme si mon corps était là à faire les gestes par habitude, mais pour autant mon esprit embrumé n'est autre que dans cette pièce froide et lugubre.

Plusieurs jours se sont écoulés depuis que nous avons quitté la demeure de Théo, plusieurs jours que la voiture de papa est garée sur le bord du trottoir devant ma boutique les clés posées sur le bout du comptoir et pourtant, je n'ai pas cette force. Parfois, j'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer, d'attendre que ses pas franchissent le pas de ma porte.

Certains jours, j'avance, j'essaye, pour le rendre fier de moi. Parfois, je pense atteindre le bout du tunnel, sortir de ce tourbillon de souffrance refermant cette cicatrice invisible mais pourtant bien douloureuse. Et il y a ces jours-ci où la lumière s'éteint, devient hors de ma portée m'emportant dans mes propres ténèbres parce que bon sang qu'il me manque. J'ai si mal.

Mais vous savez ce qui fait le plus mal ?

N'avoir jamais eu de réponse, jamais d'explication sur les circonstances de sa mort. Rester ainsi sur ce drame qui vous aura bousillé, sur ce coup de téléphone qui a brisé votre vie. Au bruit des sirènes qui hurlent derrière la voix qui vous annonce qu'ils ont fait de leur mieux, mais que son cœur n'est jamais reparti. Affichant son nom à l'écran, mais il n'est plus. Il ne le sera jamais plus. Et ça, ça fait mal.

Vous savez quand vous vous murez dans ce silence où la vie continue d'avancer pendant que vous, vous restez bloqué à ce moment précis, refusant d'accepter cette vérité qui vous fait peur. Est-ce que je vais réussir à vivre sans lui ? Et si je trébuche qui viendra m'aider ? Qui viendra me montrer le bon chemin à prendre ?

Parce que mon père m'a tout appris sauf à vivre sans lui....

J'essuie mes joues humides tout en observant les photos. Nos photos de famille. Je touche d'un doigt fébrile la dernière photo, Augustin à peine âgé de 4 ans faisant la moue face au photographe car il avait été privé de manger du chocolat pour ne pas tâcher sa chemise.

- Nana !

Une boule d'énergie court dans ma direction, je l'attrape dans mes bras le hissant contre moi. Il m'embrasse tendrement sur les joues le regard joyeux. Ses yeux se tournent en direction de la photo ses petits sourcils froncés d'inquiétude.

- Un câlin pour papa

Mon sourire devient tremblant quand ses petits bras encerclent mon cou. Je me mords vivement la lèvre inférieure pour ne pas craquer devant lui. Je sais qu'il nourrit cet espoir d'un jour le revoir car il est encore jeune, n'ayant pas tout de suite compris que notre papa s'était envolé pour les étoiles.

- Tiens voilà enfin ma fille

Je pose Augustin sur une chaise du salon, regardant ma mère assise en face de nous en train de plier le linge de la maison les lèvres pincées de mécontentement. Bien que notre relation se soit dégradée depuis quelques mois, je sais qu'au fond elle s'est inquiétée de mon absence.

- Je suis désolée, c'était un peu compliqué ces derniers jours.

Sa langue claque contre son palais avant de reprendre la parole d'un ton qui se veut froid.

- C'est toujours compliqué pour toi depuis quelque temps.

Ses yeux se plantent dans les miens et là, je vois à quel point sa fatigue me frappe à quel point ses traits sont tirés, la tristesse peint son visage, la trace de nombreux kilos perdus tire sur sa mine.

- Je sais que tu es malheureuse, mais moi aussi et tu n'as pas le droit de partir sans me donner de nouvelles en envoyant un inconnu sonner à ma porte, t'es-tu demandé une seule fois comment j'ai réagi quand un homme s'est présenté ici me disant te connaître, sanglote-t-elle

Oui, je sais maman.

- J'ai perdu l'amour de ma vie, mon mari, mon pilier. Pourtant, je ne peux pas flancher parce que votre père m'a donné les deux plus belles merveilles du monde, mais ce n'est pas pour autant que je n'ai pas mal que je ne souffre pas.

Au bord de la chute, j'essaye de contenir le flot de larmes qui emplisse mes cils.

- Je suis désolée maman.

Je pensais avoir mal. Foutaise. Ça, ça fait mal.

Je fais rapidement le tour de la table, m'agenouille devant elle et encercle mes bras autour de sa taille, puis pose la tête sur ses genoux. Mes larmes coulent cette fois-ci sans que je le contrôle, je laisse juste ce mal-être sortir.

- Je suis tellement désolée maman.

Je sens qu'elle bouge quand elle tombe à côté de moi m'encerclant dans une étreinte réconfortante. Sa main caresse mes cheveux dans un geste lent et doux. Je ne pensais pas avoir autant besoin de ça avant qu'elle ne le fasse.

- Et moi ?

- Viens par-là mon grand

Augustin s'ajoute à notre câlin collectif.

Papa, j'espère que tu nous regarde.

Nous sommes enfin réunis comme avant.

J'ai si mal de me dire que pendant tout ce temps, je m'enfermais dans cette souffrance sans fin laissant les êtres les plus importants au monde sur le bord de la route, sans me soucier un instant qu'eux aussi souffraient autant que moi parce que j'ai perdu mon père, mais Augustin a aussi perdu le sien, tandis que maman... Maman a perdu son unique amour, son meilleur ami, son mari... Mais dans cette chute, elle a aussi perdu sa fille, trop occupée à maudire le monde entier de lui avoir enlevé la seule personne qui comptait le plus au monde et pourtant, maman n'a jamais baissé les bras s'acharnant jours et nuits pour combler ce vide qui occupe nos cœurs, sans jamais faillir une seule fois devant nous malgré la souffrance qui entaille son cœur. Au lieu de nous soutenir, nous nous sommes divisés, noyés dans notre chagrin certes nous sommes tous différents face à la douleur, mais ensemble nous sommes toujours plus forts...

Un souffle tremblant franchit mes lèvres au moment où les gargouillements de nos estomacs émettent un son disgracieux, faisant glousser Augustin qui se tape le ventre avec force.

- J'ai faim

- Allons préparer à manger

Elle attrape Augustin par la main mais ce petit filou part aussitôt courir en direction de la cuisine suivit de près par une maman qui imite le bruit d'un dinosaure qui s'identifierait plutôt comme un couinement d'une vieille porte que l'on essaye d'ouvrir.

J'appuie mon épaule contre l'embrasure de la porte du couloir regardant mon petit frère grimper le long du tabouret pour regarder le déroulement de la préparation du repas.

- Tu restes à manger Anna ?

J'essuie du revers de ma main mes joues humides.

- Juste parce que la façon dont tu maltraites cette pauvre patate me fend le cœur, je reste pour lui venir en aide. Dis-je sur le ton de l'ironie

J'attrape l'instrument de torture des mains de ma mère la poussant d'un coup de hanche pour prendre sa place. Nous préparons ensemble une bonne tartiflette maison, comme avant, voir mon frère sourire à pleine dent réchauffe mon cœur.

Maman nous raconte quelques anecdotes de son travail. Tandis qu'Augustin essaye de faire comme un grand et de manger avec de grands couverts au point de mettre la moitié du contenu de son assiette sur la table, mais aussi sur le sol nous faisant rire.

Un soupir de béatitude franchît mes lèvres, je n'aurais jamais cru possible en me levant ce matin que la journée terminerait ainsi, si joyeuse. Entourée des personnes que j'aime

Un coeur pour deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant