𝟣𝟣 | 𝖠𝖼𝖾.

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ACE

⋆.˚ ☾ .⭒˚

Tokyo, arrondissement de Toshima, quartier de Komagome

Le sang coule le long de mon bras et goutte sur le béton sec. Ce genre de chute ne m'était pas arrivé depuis des lustres et j'ai tout à coup l'impression de remonter le temps, à l'époque où j'apprenais à glisser sur une board.

Ce soir, mon apparence physique se rapproche davantage du vampire que de l'être humain normal, et ma nouvelle blessure au coude n'arrange rien.

Mon teint pâlit de jour en jour, l'épuisement creuse des cernes foncées sous mes yeux, si bien qu'on pourrait les confondre avec des cocards, et qui plus est, je ne sors quasiment que de nuit. Je me sens tout à fait prêt pour participer à n'importe quel casting de film pour Halloween.

L'écho de mes pas résonne dans les rues silencieuses de Komagome. Pas un chat à l'horizon, même le vent se fait timide. Tous les restaurants et bars sont fermés depuis plus d'une heure, mais je ne suis étonné de ne pas voir un seul yatai dans le coin. J'aurais acheté des okonomiyaki à emporter pour tout le groupe.

Les feuilles mortes qui jonchent le bitume se collent à mes semelles. A l'approche de l'appartement de Valia, je retire mes écouteurs et les fourre au fond de ma veste en jean. Je ne l'ai pas revue depuis cette fois où elle est venue chez moi, et que j'ai entendu sa conversation au téléphone. Je n'aurais pas dû écouter à la porte, mais ça a été plus fort que moi.

Lorsque son portable a sonné, j'ai tout de suite lu sur son visage que quelque chose clochait. Au cours de la conversation, j'ai compris que le sujet était son frère décédé, ce qui m'a valu un  pincement au cœur.

Je sais parfaitement ce que Valia ressent dans ces moments, et cela me fait me sentir un peu plus proche d'elle. Pas assez proche cependant pour satisfaire l'intérêt que je lui porte. Je veux en savoir plus à son sujet afin de comprendre pourquoi elle commence à s'immiscer dans mes pensées.

Assis sur les marches des longs escaliers de pierre, Eiji m'attend près d'une enceinte qui crie les paroles de Dramaturgy. Lorsqu'il m'aperçoit, il passe une main dans ses cheveux décolorés et baisse le son de la musique.

— Je te pensais plus original en termes de goûts musicaux, je le charrie en lui donnant un coup de pied dans le tibia.

Mon meilleur ami allume une cigarette et me crache la fumée au visage, à croire qu'il souhaite m'asphyxier.

— Tu vas attraper froid, répond-il simplement.

Je me retiens de lui répondre que ce n'est pas en me soufflant dessus qu'il va me réchauffer.

L'odeur du tabac me gratte la gorge et me fait tousser à plusieurs reprises. Il est vrai que je ne porte qu'une veste en jean déchirée, mais les vampires ne sentent pas le froid.

— Je ne tombe jamais malade, contrairement à toi. C'est pour ça que tu devrais arrêter de te détruire les poumons avec cette merde, rétorqué-je en désignant sa cigarette.

Eiji hausse les épaules, un demi-sourire sur les lèvres.

— Tu as raison, on doit vivre ensemble pour l'éternité, tu te souviens ?

— Oui, et dire que tu vas mourir d'un cancer et moi d'une pneumonie, je raille en m'asseyant un peu plus bas. Quel échec.

— On fera en sorte d'être voisins de tombe.

— Non merci, je n'ai pas envie de passer l'éternité face à tes os décomposés.

— Personnellement, vu l'état de ton appart', je n'ose pas imaginer celui de ton cercueil.

NIGHTBREAKEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant