Chapitre 10

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La grotte se trouvait suffisamment éloignée du camp pour espérer qu’on ne nous rattrape pas avant le matin. Après m’être assurée qu’aucun prédateur ne s’y tapissait, Serys et moi nous risquâmes à faire un petit feu. Le fond de la grotte formait un coude, ainsi la lumière des flammes serait difficilement décelable depuis l’extérieur. Je me rapprochais au plus près de la douce chaleur, mes membres étaient engourdis par le froid. Le vol dans la bise glacée des montagnes Illyriennes, alourdie du poids de ma nouvelle alliée, m’avait transpercé jusqu’aux os.
Serys sortit de sa besace du pain et de la viande séchée. Des mets simples, mais qui me mirent instantanément l’eau à la bouche. Mon dernier repas datait de plus de vingt-quatre heures. La jeune Fae me tendit la nourriture, et il ne sembla jamais avoir rien mangé d’aussi bon. Je bus de nouveau longuement. Serys ne me quittait pas des yeux.
“— J’ai quelque-chose sur le nez ? finis-je par demander.
— Non, répondit-elle, gênée. C’est juste que… Tu as l’air de savoir te servir d’une arme. Et tu leur as tenu tête… À Vrax et à Korvax. Aucune femme du camp n’ose seulement les regarder dans les yeux. Je t’admire.”
Je savais que j’avais été privilégiée en grandissant à Velaris, mais réaliser qu’il existait des endroits où les femmes étaient traitées avec aussi peu de considération, n’était pas une découverte agréable. Je mastiquais lentement, réfléchissant à ses mots. Son admiration me touchait, mais la réalité qu'elle décrivait me remplissait de colère.
“— Tu ne devrais pas avoir à admirer quelqu'un pour avoir fait ce que n'importe quel être libre peut accomplir, Serys. Nous ne sommes ni leurs esclaves ni leurs jouets. Nous pouvons être leurs égales. Rhysand lutte pour changer cela, pour que chaque femme puisse vivre sans craindre pour sa vie ou son intégrité.”
Serys baissa les yeux, jouant nerveusement avec un pan de sa cape.
“— Je... je ne connais pas cette liberté. Ici, les femmes doivent obéir, se soumettre, sinon... ”
Elle se tut, mais je comprenais parfaitement ce qu'elle n'osait pas dire. Les conséquences de la désobéissance dans ce camp de guerre étaient terribles.
“— Tu as été courageuse de m'aider, Serys. Tu as défié leur autorité en venant me secourir, et c'est déjà un premier pas. Avec le temps, tu découvriras ta propre force, et tu apprendras à t'en servir pour protéger non seulement toi-même, mais aussi ceux que tu aimes.”
Elle hocha lentement la tête, ses yeux brillants de détermination naissante. Il y avait encore de l’espoir, même dans ce lieu sombre.
“— Parle-moi de ta sœur, demandai-je doucement, changeant de sujet pour la rassurer et la distraire un peu.”
“— Elle s'appelle Neria. Elle est encore si jeune, mais elle est forte. Je fais tout ce que je peux pour la protéger, pour qu'elle ne subisse pas ce que j'ai enduré.”
La douleur dans sa voix était palpable, et je ressentais une profonde empathie pour elle.
“— Nous allons sortir d'ici, Serys. Nous trouverons un endroit sûr pour toi et Neria, je te l’ai promis et je tiendrais parole.”
Je frottais mon poignet sur lequel se trouvait le tatouage qui scellait notre marché. Son regard s’éclaira légèrement à cette promesse, mais la peur demeurait.
“— Et toi, Elysia ? Comment as-tu appris à te battre ? Tu parles de liberté et d'égalité... Est-ce vraiment possible ?”
“— Oui, c’est possible. J'ai appris à me battre grâce à Cassian et Azriel. Ils m'ont entraînée dès mon plus jeune âge. Mais plus important que les compétences en combat, ils m'ont appris que personne n’a le droit de nous dicter notre valeur ou de nous traiter comme des êtres inférieurs. Cette liberté, c’est ce que Rhysand veut pour tout le monde.”
“— Je voudrais apprendre, moi aussi. Je veux savoir me défendre et protéger ma sœur. Est-ce que tu pourrais m'enseigner ?”
Un sourire étira mes lèvres. Voilà la preuve que le courage pouvait naître même dans les endroits les plus sombres. Au fond de moi, quelque-chose s’éveilla. Comme si ma magie, telle une bête endormie, avait ouvert un œil.
“— C’est d’accord. Si on parvient à survivre à cette nuit en échappant aux mâles de ton Clan.”
Elle me rendit mon sourire. Ses ailes s’agitèrent dans son dos et elle sursauta avec une grimace de douleur. Ce crime-là non plus ne devrait pas rester impuni.
“— C’est très douloureux ? osais-je demander.
— Un peu, répondit-elle. Mais les autres femmes m’ont assurées que c’était l’affaire de quelques semaines.”
Quelques semaines de souffrance, pour une vie entière de servitude clouée au sol. La colère m’envahit et mon pouvoir s’agita davantage dans les tréfonds de mon être. Cassian. Je devais essayer de le contacter. Peut-être, avec un peu de chance, mes dons de Daemati pourraient percer la distance qui nous séparait.
Je me concentrais, fermant les yeux de nouveau, et tentais d'atteindre l'esprit de Cassian. Les Daemati pouvaient pénétrer l'esprit de leurs cibles, communiquer à distance, mais j'avais toujours eu besoin du contact visuel, à l’exception de la fameuse nuit où mon frère avait été en danger de mort. Cela semblait presque impossible maintenant. Pourtant, je devais essayer.
"Cassian," appelai-je dans mon esprit, cherchant à créer un lien mental. "Cassian, c'est Elysia. Nous sommes en danger."
Rien. Pas de réponse. Je sentis la frustration monter en moi. La distance était trop grande, et mes dons encore trop faibles pour franchir une telle barrière. Un soupir s'échappa de mes lèvres. Essayer de me tamiser comme la nuit précédente et le désastre qui s’en était suivi m’effrayait autant que nos ennemis. Même si j’y parvenais seule, cela impliquait d’abandonner Serys et cela m’était inconcevable. Mais en regardant ses ailes mutilées, une autre idée me vint. Risquée, mais peut-être pas impossible.
“— Tout va bien Elysia ? s’enquit-elle.
— Oui… Je réfléchissais. Je pense... Je pense que je peux t’aider. J'ai déjà vu Madja, la guérisseuse de Rhys, faire des miracles. Peut-être que je peux essayer quelque chose pour tes ailes."
— Vraiment ? demanda-t-elle les yeux agrandis par l’incrédulité. Mais comment ?
Je pris une profonde inspiration. Il était temps de réveiller mes pouvoirs, de surmonter ma peur et d'essayer.
— Ferme les yeux et détends-toi. Je vais essayer d'utiliser mes dons pour t'aider. Ce ne sera pas facile, mais je pense en être capable.”
Elle acquiesça, ses paupières se fermant doucement. Je me concentrais, cherchant à éveiller ma magie. L’épisode désastreux du tamisage de la veille pesait sur ma conscience, mais je n’étais ni aussi éméchée, ni aussi insouciante que la nuit précédente, il ne s’agissait pas de jouer cette fois-ci. Il s’agissait de sauver les ailes de Serys. Je fermai les yeux à mon tour, prenant une grande inspiration pour apaiser les battements frénétiques de mon cœur. J’imaginais ses ailes, la douleur, et me concentrais sur l’idée de les guérir. Peu à peu, je sentis une chaleur monter en moi, des fragments de pouvoir se frayer un chemin à travers mes veines. Visualisant les techniques de guérison que j'avais vues Madja utiliser, je laissai la magie s’écouler, cherchant les blessures, les tendons déchirés, les muscles abîmés. Une douce lumière émana de mes mains, enveloppant les ailes de Serys. Elle émit un léger gémissement, mais ne bougea pas.
Le processus fut long et éprouvant, chaque fibre de mon être tendue vers cet acte de guérison. La magie circula entre nous, infusant ses ailes de chaleur et de lumière. Je sentais les tissus se régénérer, les muscles se réparer, les plaies se refermer lentement. Quand je rouvris les yeux, épuisée, mais satisfaite, les plaies sur les ailes de Serys semblaient déjà moins enflammées, moins béantes. Elle me regarda avec des larmes de gratitude dans les yeux.
"— Je peux remuer mes ailes ! Je ne sais pas comment te remercier, balbutia-t-elle. Avec de tels dons, tu aurais pu tout simplement t’enfuir, me laisser derrière toi. Mais tu les as utilisés pour me venir en aide. Personne n’avait jamais fait cela pour moi.
— Je pense que tu pourras voler de nouveau. Fis-je avec un sourire fatigué. Pour me remercier, tu peux commencer par prendre le premier tour de garde. Nous avons une longue nuit devant nous, il nous faut rester vigilantes.
Serys hocha la tête, essuyant ses larmes. Elle se leva doucement, testant ses ailes. Je pouvais voir la détermination dans ses yeux. Cette jeune femme était prête à tout pour protéger sa sœur et se défendre. Je me sentais honorée de pouvoir l'aider.
"— Je prendrai le premier tour de garde, dit-elle avec un sourire déterminé. Repose-toi, Elysia. Je veillerai sur nous."
Je m’allongeais près du feu, mes membres encore engourdis par l'effort de la guérison. La chaleur des flammes me réchauffa lentement, et je laissai mes yeux se fermer. Demain serait un autre jour, rempli de défis et de dangers. Juste avant de sombrer, je murmurai à Serys :
"— Si tu vois quelque chose d'inhabituel, réveille-moi immédiatement."
Elle hocha la tête, ses yeux brillants de détermination et de gratitude. Je me laissai aller au sommeil, espérant que le matin nous apporterait une nouvelle chance de survie et de liberté.

Un Pont de verre et d'étoiles (Fanfiction ACOTAR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant