22 ♦ Avis partagé

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« Le Guide se laissait bercer par son don, pour ne jamais laisser entraver son avis par quiconque »

ELYA

Nous mangions dans le silence le plus complet. Adélaïde, Ezekiel et Alexius demeuraient muets comme des tombes. Seul le bruit de nos couverts résonnait contre la porcelaine. Je coupai mon poireau grillé lentement, ne sachant plus où me mettre. Lorsqu'Adélaïde était entrée en transe et qu'elle avait dû voyager dans sa Psyché, elle a parlé tout haut et a avoué beaucoup de choses. Probablement certaines choses que ses amis ne savaient pas.

— Vous allez faire la tête longtemps ? grommela Adélaïde en posant ses couverts.

Alexius posa les siens aussi et affronta son amie.

— Je ne savais pas que tu pensais que nous nous moquerions de toi et de Génova.

— C'était ainsi que tu nous voyais ? renchérit Ezekiel.

— Nous étions une famille, si vous vous aimiez toutes les deux, alors nous aurions été heureux pour vous. Au lieu de cela, Génova est morte en pensant que ses amis étaient juste des brutes homophobes et peu ouverts d'esprit, poursuivit Alexius.

Adélaïde humecta ses lèvres puis poussa un profond soupir. Les cheveux du côté de son crâne rasé commençaient à repousser avec le temps, le blond de sa longueur pointait parfois même sur la couleur vénitienne. Avec ses yeux bruns voire même rouges à certains moments, cela lui donnait un air pur et doux à la fois, bien qu'elle avait la carrure d'une guerrière.

— Je m'excuse auprès de vous, peut-être que je n'étais simplement pas prête à vous le dire.

— Je n'ai jamais hésité à vous confier tous mes secrets, expliqua Alexius. Si nous ne pouvons pas nous faire confiance, pourquoi faisons-nous équipe depuis si longtemps ?

— Bon sang, vous êtes trop susceptibles, gronda Adélaïde. Mon histoire d'amour avec Génova est terminée depuis longtemps. Passons à autre chose.

Nous terminâmes de manger dans un troublant silence. Ensuite, je m'enfermai dans ma chambre et restai assise de longues minutes dans le salon devant la bibliothèque. J'imaginais ce qu'avait vu Adélaïde, elle avait crié, pleuré, supplié... Elle avait répété à maintes reprises que ce n'était pas de sa faute. Mais de quoi parlait-elle ?

Je grimaçai lorsque mes oreilles se mirent à siffler sans autres symptômes pour m'alerter avant. Je posai mes mains sur ma tête, me recroquevillai sur le fauteuil et lorsque je fermai les yeux, je fus en proie à une vision, brève, floue, peu explicite. Je voyais quelqu'un, dissimulé sous une longue cape noire, dans ce qui ressemblait le plus à un cimetière. Trois personnes se tenaient devant l'individu encapuchonné, trois personnes portant une Armure de Gardien avec une Gemme au centre, à l'endroit où se trouvait leur cœur.

— Je veux l'Obsidienne, déclara l'individu d'une voix déformée par ma vision.

Il tendit la main, rétracta ses doigts et l'un des Gardiens leva ses mains munies d'un poignard orné de gemmes. Il tremblait, son visage couvert de sueur, ses yeux cernés, ses lèvres gercées. Il serra les dents, lutta mais lorsque le Nécromancien tourna la main, il planta le poignard à l'endroit où se trouvait son Obsidienne.

Je rouvris les yeux lorsque l'explosion de pouvoir que cela créa m'aveugla. Je pris une inspiration brève, le cœur battant la chamade et la bouche pâteuse. Je me rassis correctement sur le fauteuil, troublée par ce songe. Je ne comprenais pas pourquoi je voyais, dans des moments totalement banaux, des visions aussi brusques et sombres. Était-ce le Nécromancien qui tentait d'entrer en contact avec moi ou simplement mon don qui me poussait à apprendre de leur histoire ?

Je sursautai lorsqu'on frappa à ma porte. Je passai des mèches de mes cheveux derrière mes oreilles et me tins droite, les mains sur mes cuisses.

— Entrez !

La porte s'ouvrit, je me retournai juste pour voir Ezekiel la refermer derrière lui. Il s'appuya contre le mur en angle et croisa les bras sur sa poitrine. Il était vêtu d'un haut aussi noir que ses cheveux et de pantalons sombres et ajustés. Ses bras étaient imposants, dont l'un arborait une longue cicatrice grossière.

— Tu n'as pas parlé lors du dîner, je venais m'assurer que tout allait bien.

Je détournai le regard et hochai la tête.

— Oui, ça va, je te remercie...

Mes yeux se portèrent sur lui lorsqu'il s'installa sur le fauteuil légèrement en avant du mien, ainsi, je pus sonder son regard Émeraude.

— J'ai besoin de savoir, Elya, si tu ressens des doutes à propos de la Confrérie.

Je lui souris, poliment.

— La Confrérie fait partie de l'Ordre des Gardiens, n'est-ce pas ?

Il acquiesça d'un hochement de tête.

— Alors si l'Ordre leur a confié le Rubis, c'est qu'ils leur faisaient confiance, pourquoi devrions-nous douter ?

Ezekiel s'avança légèrement sur son fauteuil et appuya ses bras sur ses grandes jambes pour me toiser. Il se gratta le menton, l'air dubitatif.

— Tu me caches quelque chose ?

Il était trop analytique, il était difficile de lui mentir.

— J'émets quelques réserves, oui, avouai-je, contrainte.

— Moi aussi.

Je me redressai, surprise mais me sentant moins seule. Je ne savais pas réellement pourquoi je ressentais cela, néanmoins, j'avais la sensation que quelque chose clochait chez cette Dame Rouge.

— Tu douterais de l'Ordre qui t'emploie ?

— Oui. Parce qu'on ne peut jamais accorder sa confiance totale à qui que ce soit. Dans un premier temps, cela évite les déceptions et dans un second temps, ça permet de rester attentif et de ne jamais baisser sa garde.

Je haussai les sourcils.

— Dis-moi ce qui te fait douter, Elya, demanda Ezekiel.

Je pensais qu'il voulait que l'on reste loin l'un de l'autre. Au final, nous étions seuls dans ma chambre, bien trop près pour ne pas se sentir attiré, bien trop seuls pour ne pas se croire tout permis.

— Je doute qu'ils veuillent restituer le Rubis à Adélaïde. Ils lui font croire que oui, mais en réalité le Rubis leur octroie le pouvoir qui fait de ce lieu, un endroit unique. Ils sont magiques eux aussi, la Dame Rouge apparaît et disparaît à sa guise. Enfin... ce n'est qu'une supposition mais je vous ai écouté de nombreuses fois, les Gemmes peuvent avoir un effet d'addiction sur ceux qu'elles alimentent de leur pouvoir. Pourquoi pas la Confrérie ?

Ezekiel demeura silencieux à m'observer, mordillant ses lèvres. Il hocha la tête, se redressa sur son fauteuil et passa une main dans ses cheveux épais.

— Tu as raison, affirma-t-il seulement.

— Tu avais les mêmes doutes ? m'étonnai-je.

— Entre autres oui. Peut-être pas aussi recherchés mais j'avais la sensation qu'ils cachent quelque chose.

— Comme le Rubis ?

— Comme leur soif de pouvoir, leur possessivité. C'est tellement cruel, ce que peut faire une Gemme a une âme trop ambitieuse...

— Comme à Aude ?

Il releva ses yeux vers moi, puis les détourna aussitôt.

— Oui...

Il se leva alors je fis de même, en même temps que lui. De nouveau, je fus prisonnière de ses yeux et je posai ma main sur son bras, sans une once d'hésitation cette fois.

— Je suis désolée pour ce qui lui est arrivé. Perdre un être cher est une phase difficile à accepter.

Je ne fus pas en proie à une vision et lui non plus, ce qui sembla même le surprendre.

— Je voulais seulement que tu saches que je compatis à ta douleur. Je n'ai, certes, pas perdu l'amour de ma vie mais j'ai perdu mes parents et même si les années passent, la douleur ne disparaît jamais totalement.

Il baissa la tête et regarda ma main sur son bras alors je la retirai, pensant le déranger. Or, il saisit mon poignet et secoua la tête.

— Non, ne retire pas ta main, souffla-t-il.

Il laissa glisser la sienne et nos deux paumes s'unirent l'une à l'autre. Il entrelaça ses doigts aux miens, les observant comme s'il n'avait jamais fait cela auparavant. Je supposais que cela faisait si longtemps, qu'il redécouvrait ce qu'était un contact physique. Je sentais mon cœur battre bien plus fort dans ma poitrine, cela me plaisait, sa douceur, son attention... Il relâcha ma main après quelques secondes et sembla quelque peu gêné. Il s'efforçait de ne pas agir comme un homme ordinaire, de ne pas éprouver de sentiments, afin d'éviter la souffrance potentielle que l'amour pouvait causer.

— Gardons nos suppositions pour nous pour l'instant. La troisième Étape ne tardera pas, nous devons surveiller Adélaïde et la protéger. Je compte sur toi pour utiliser pleinement ton don de Guide. Il n'y a que toi qui saura si Adé risque la mort ou non.

Je hochai la tête.

— Je saurai te le faire savoir, affirmai-je.

— Je n'en doute pas.

Il me regarda de longues secondes avant de finalement quitter ma chambre. Je me retrouvai soudainement seule avec un flot de sentiments. Ezekiel me plaisait, plus que je ne l'aurais pensé. Je n'arrivais plus à le trouver désagréable, il avait une grande sensibilité, une humanité peut-être trop forte. Il était tout le contraire de ce qu'il laissait paraître. Et je commençais, lentement, à craquer, et à espérer me retrouver seule avec lui plus souvent.

Je ne devais donc, en aucun cas, le décevoir. Il était temps pour moi de devenir la Guide dont avaient besoin les Gardiens. J'étais prête à leur montrer de quoi j'étais capable.

Les Derniers Gardiens - I La Confrérie du RubisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant