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 — Zahra ! m'appelle ma grand-mère en me faisant sursauter.

Je m'empresse de ramasser le rembourrage éparpillé au sol et de descendre, non sans vérifier que ma chambre est en ordre. Avant de les rejoindre, je prends soin de glisser le carnet dans mon sac, ne voulant pas qu'elles me posent des questions auxquelles je n'aurais pas de réponses.

tahzist iw (ma chérie) tu restes manger ?

— Non ⴷⵊⵉⴷⴰ, Nyx vient dormir à la maison donc je ne veux pas rentrer trop tard.

Je sais que ma grand-mère apprécie que j'aie gardé les mêmes amies depuis l'enfance. Elle les a vus grandir avec moi et les connaît bien, ce qui la rassure.

— Prends de la chorba avec toi, et prends-en pour tes copines aussi.
J'essaie de refuser gentiment en lui expliquant que ça va être compliqué à transporter mais je sais d'avance que c'est peine perdue et que je vais repartir avec des tupperwares pleins.

Nana, est-ce que tu peux me faire le kardoune avant de partir ? me demande ma sœur.

Elle a visiblement eu le temps de se doucher lorsque j'étais à l'étage. Elle est maintenant en kswa (Robe traditionnelle également utilisée pour dormir) et ses cheveux longs et humides retombent sur ses épaules.
J'accepte avec joie car même si je commence à être en retard, je ne raterais ce moment pour rien au monde.


Comme presque chaque vendredi soir, elle va s'asseoir au pied du canapé, tandis que je récupère une brosse, de l'huile pour cheveux et la bande de coton tissée. Je me mets à la coiffée, bercée par "Ssendu" d'Idir, la musique préférée de ma grand-mère, qui résonne dans la maison,

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours passé du temps à coiffer mes sœurs après leur douche. Les cheveux bouclés de Léna, qui demandent beaucoup d'entretien, ont commencé à instaurer cette routine. Notre cadette a vite voulu que je la coiffe elle aussi mais maintenant que Maya a un carré, c'est notre moment à Léna et moi. Cet instant précieux où elle en profite pour se confier.

— Comment tu te sens tamchicht iw (équivalent de mon petit chat) ?, je demande pour l'encourager.

Elle qui ne parle jamais, toujours discrète, qui fait toujours passer les autres avant elle, la gentillesse à l'état pur se met à se confier.

— Je suis fatiguée, j'ai tellement peur de ne pas réussir à avoir mon bac avec mention. C'est compliqué de passer après Dada et toi, vous avez toujours excellé à l'école ou au travail donc papa attend la même chose de moi.

— Léna, tu es toi, tu as le droit d'avoir des facilités et des difficultés. Ce n'est pas parce qu'on est frères et sœurs que l'on doit être des clones, au contraire. Je n'ai aucun doute sur le fait que tu vas t'en sortir dans la vie. Trouve juste ce que tu aimes et concentre-toi là-dessus.

Nous restons silencieuses quelques instants, bercées par la musique, pendant que je commence à entourer la bande rouge orange et jaune autour des cheveux de ma soeur. Le kardoune aura pour effet d'éviter à ses cheveux de s'emmêler et de les lisser un peu, ce qui lui fait gagner du temps le matin.

— Papa est de plus en plus énervé. Parfois, je me demande s'il ne va pas finir par gifler Maya quand elle lui répond. Ils passent leur temps à hurler et j'entends Maya pleurer la nuit. Je pense vraiment qu'on devrait arrêter d'y aller.

— Je comprends ta peine et tes craintes mais jamais il ne lèvera la main sur vous, il n'est pas comme ça. Si un jour ça arrive je vous jure de tout faire pour que vous n'ayez plus jamais à le voir. En attendant je vais voir ce que je peux faire pour apaiser les tensions et je vais en parler à papa, d'accord ? Je l'ai dit à Maya tout à l'heure mais si vraiment ça ne va pas, tu peux m'appeler à n'importe quelle heure du jour et de la nuit je répondrai et je viendrai vous chercher.

AmnesiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant