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 J'ouvre mes paupières bouffies avec peine. J'ai mal à la tête et mon corps entier est douloureux après que j'aie dormi à même le sol. J'aperçois l'heure, légèrement sonnée. Six heures trente. Astrid ne va pas tarder à rentrer. Difficilement, je me lève pour boire de l'eau et attrape une barre de céréales à la pomme au passage. 

Posée sur le grand canapé, je mets de la musique pour essayer d'étouffer de mes pensées, puis fixe mon reflet sur l'écran noir de la grande télévision. 

— Je suis complètement folle, je me murmure à moi-même.

— Tout le monde l'est à sa façon. Je sursaute, ma meilleure amie est dans l'embrasure de la porte, impeccable dans sa robe de la veille par-dessus laquelle elle a passé un pull.

— Va te doucher Z. 

J'obtempère sans poser de question, parce que mon cerveau a justement besoin qu'on lui indique quoi faire pour ne pas complètement vriller.

Devant le grand miroir, je ne me reconnais plus. Mes yeux sont rouges et gonflés, du mascara séché s'étale sur mes joues, je suis complètement décoiffée, je m'effraie. Ce qui me terrifie le plus, c'est qu'elle m'ait dit que ça allait être compliqué au début, le début est une donnée vague. 

Et si cela durait des mois ? Des années ? 

Combien de temps vais-je devoir vivre dans les vestiges de mon passé ? Je crois que je suis en état de choc. 

 Mes mouvements sont au ralenti, l'eau chaude coule sur ma peau, invisibilisant ma tristesse. Un affreux sentiment de calme avant la tempête me gagne, comme si ce que j'avais vécu ces derniers jours n'était qu'un avant goût, quelques rafales pour me préparer à un enfer certain.

La baignoire à côté de la douche me nargue mais je me demande ce que je serais capable de faire, où seront mes limites si mes souvenirs reviennent, alors je me résigne à rester sous le jet. Toute cette situation m'effraie. Je fixe le carrelage noir anciennement bleu turquoise. Nous l'avons recouvert parce que cela me faisait trop penser à une piscine. Cette activité entre copines s'était finie en bataille de peinture. Le pommeau de douche en garde d'ailleurs quelques souvenirs et ces tâches me font sourire.

N'ayant pas prévu de ressortir, j'enfile ma kswa et un pull par-dessus avant de rejoindre ma meilleure amie. Lorsque je descends, de nouveau un café latte trône sur la table basse et elle m'attend sur le canapé, ses fiches de révisions sur les genoux alors qu'elle a allumé la télévision. Sur l'écran les images apaisantes de Totoro défilent. 

Je m'installe à côté d'elle, posant ma tête sur sa cuisse, m'imprégnant de son odeur. Je n'ai jamais su la décrire, l'odeur d'Astrid est propre à elle, rassurante par sa familiarité. Pendant que les dessins défilent sous mes yeux, je nous revois dans sa maison en Espagne dans laquelle elle m'avait invitée. Le sel sur nos lèvres, le sable sous nos pieds, la chaleur accablante, l'ordinateur entre nous dans ce lit aux draps blancs, les mêmes images sur l'écran, le tout créant une bulle de bonheur.
Cela date d'il y a maintenant sept ans mais étrangement je m'en souviens aussi clairement que des photographies laissées sur un disque dur que l'on viendrait de retrouver.

— Je me souviens, je lui dis, de l'émotion plein la voix.

— Je sais. Tu verras, tu ne te rappelleras pas de tout mais il y a quand même du positif. Parfois ça vaut le coup de toucher le fond pour mieux remonter. 

Je m'endors, épuisée par ma nuit mouvementée, chérissant mon nouveau souvenir. Pour la première fois, je me dis que j'ai bien fait de trouver ce journal. 

La journée touche à sa fin, comme chaque dimanche soir, on se retrouve toutes les deux sur la grande table chacune devant nos ordinateurs et carnets. La musique s'élève dans l'appartement pendant que nous organisons notre semaine à venir, terminant nos dernières obligations avant d'en recevoir de nouvelles. 

J'aime les rituels qui se sont instaurés dans ma vie, comme un cycle rassurant. Je finis de mettre sur le drive commun les photos que mon patron m'avait demandées après y avoir apporté les dernières modifications, fière du rendu final. Je n'ai pas une grande confiance en moi mais je connais mes capacités dans ce milieu là et je sais reconnaître lorsque j'ai fait du bon travail. 

Pour finir, je prépare les derniers rendez-vous clients qui ont lieu dans la semaine et la réunion de demain pour expliquer ce qui attend l'équipe. Je ferme mon ordinateur une heure plus tard, prête à monter me coucher quand une notification s'affiche sur mon écran.

Numéro Inconnu : J'espère que tu es bien rentrée.

Le message date d'hier soir mais je ne l'avais pas lu car le contact n'était pas enregistré. Aucun doute sur l'identité de l'expéditeur. Un grand blond à la mâchoire définie et aux yeux océans me revient en mémoire. 

J'enregistre son numéro avant de lire ses derniers messages que je reçois à l'instant. Je me demande comment il a eu mon contact puis je me souviens qu'il a passé une soirée avec mon portable déverrouillé. De plus, lorsqu'on a un prénom et un nom, il n'est jamais compliqué de contacter la personne.

Nathanaël Slezak : Bonsoir Zahra, j'espère que tu vas mieux. Comme je suis un homme qui tient ses promesses, accepterais-tu de dîner avec moi lundi prochain ? Signé, Sherlock

Je ne pensais pas qu'il était sérieux dans la réserve ! Complètement désemparée et n'ayant plus eu de rendez-vous avec un garçon depuis mes quinze ans, je me fige, ne sachant quoi répondre. Après de longues secondes, je finis par me tourner vers une professionnelle, brandissant mon portable sous le nez d'Astrid qui n'a aucune idée de ce qu'il s'est passé hier. Elle se serait fait des idées, mais maintenant je m'en fais aussi.

Après avoir lu son message, elle se contente de lever un sourcil d'un air équivoque. 

— Mais c'est que les choses changent ce week-end !

Elle a raison, en deux jours, je ne me reconnais plus. Les choses changent mais je ne suis pas certaine d'en avoir envie. Je confirme pourtant à Nath par curiosité et dans la minute je reçois l'heure et l'adresse du rendez-vous.

— Ne t'en fais pas Z, reprend ma meilleure amie devant mon air paniqué. Je vais t'aider, tout sera parfait. En attendant, ne te prends pas trop la tête avec ça.

Je lui marmonne une réponse incompréhensible avant de monter me coucher, la laissant à ses révisions. Assise à mon bureau, je prends mon journal dans lequel je n'ai pas encore écrit ce week-end, complètement dépassée par les évènements. J'y remédie immédiatement. 

Une heure plus tard, tout est couché sur le papier, et je surligne les éléments factuels pour les séparer de mes émotions qui s'y entremêlent. Si demain j'oublie les deux dernières années de ma vie, il me suffirait d'apprendre ce journal par cœur pour faire illusion. Cette pensée me rassure. Tant que j'ai ce journal, je peux me souvenir. 

Est-ce aussi ce que je me suis dit étant adolescente ? 

 Calmée, je me glisse sous l'épaisse couette tout en repensant à la nuit dernière et un frisson me parcourt. Je ne peux pas me permettre que cela m'arrive à nouveau, c'était trop douloureux, trop intense. Je ne veux pas me souvenir. 


⊹ ࣪ ˖

Deuxième chapitre de la journée !
Il est assez court...vous en avez pensé quoi ?
Un peu de baume au cœur après tant d'émotions ça ne fait pas de mal ❤️‍🩹

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On est 9,4k !

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Encore merci à ceux qui mettent la petite étoile ⭐ et ceux qui mettent des commentaires 🥹❤️‍🩹

On se retrouve Jeudi à 17h ✨

Kiss, Mae 💋

AmnesiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant