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Yemma.
Je n'ai aucun souvenir d'elle et, pour une fois, mon cerveau n'y est pour rien. Leyla Aït-Ouali est partie de ma vie quelques mois après ma naissance, me laissant à ma grand-mère et à mon père. Samir mon frère a quelques souvenirs mais il n'en parle jamais, on a tous les deux décidé de la détester même si enfant on rêvait en secret qu'elle revienne.

Ma première intuition était fondée, il s'agit d'un journal intime où je répertoriais mes journées. Ce constat me fait rire car aujourd'hui encore j'ai un journal dans lequel j'écris les moments importants de ma vie, par peur de les oublier. Je me rends compte qu'elle a toujours été là, cette crainte viscérale de ne plus me souvenir

Quand je réalise que je vais enfin avoir des détails sur mon enfance floue, mon coeur se réchauffe. Enfin avoir les réponses aux questions que je n'ose pas poser.

Lentement je parcours les premières lignes, prenant le temps de respirer calmement.

"Chère Yemma, je t'écris ce carnet pour te l'offrir le jour où tu reviendras. Je suis sûre que tu reviendras et je veux être sûre que tu connaisses toute ma vie comme une maman jamais partie, comme si je t'avais raconté ma journée tous les soirs en rentrant de l'école."

Je sens mon cœur se serrer face à l'espoir naïf et pur de l'enfant innocente que j'étais. Evidemment, elle n'est jamais revenue mais avec le temps j'ai pu faire le deuil de cette relation et me rendre compte que ⴷⵊⵉⴷⴰ me comblait

Alors que je m'apprête à tourner la page pour lire la suite, un papier tombe de mon journal. C'est une feuille pliée en deux, sûrement une lettre d'amour, que je m'empresse de lire. Cependant, plus je la parcours des yeux, plus mon étonnement grandit. Face à moi sont listées des techniques plus précises les unes que les autres pour dissimuler diverses blessures : bleus, brûlures, coupures...
J'en conclus que je devais être bagarreuse et que je ne voulais pas inquiéter mes sœurs en rentrant, mais un affreux pressentiment s'empare de moi, m'encourageant à poursuivre ma lecture.

Au fur et à mesure, mes larmes se mettent à dévaler mes jouent à une vitesse folle, trempant çà et là le papier. J'ai l'impression de découvrir la vie d'une inconnue. Les journées à l'école, les disputes avec Sam que je surnommais déjà Dada, Les nuits chez ⴷⵊⵉⴷⴰ, les devoirs avec mes sœurs. Tout est décrit dans les moindres détails, jusqu'à chacun de mes repas. Pourtant, certaines images se dessinent sous mes paupières. Accompagnant mes écrits. Me prouvant que je n'invente rien. Des phrases tournent en boucle dans ma tête, sans que je ne puisse les arrêter.

"Papa dit qu'Emily l'a quittée par ma faute mais je l'aimais trop moi. Depuis, il dit qu'il me punit pour ça"

"Je n'ai pas trouvé mon cahier de français ce matin. Papa m'a giflée en espérant que ça me remette les idées en place."

"J'étais en retard au collège et je n'ai pas eu le temps de me maquiller, tout le collège à vu la main sur ma joue, personne n'a rien dit. Peut-être que c'est normal, que je dois le mériter."

"Quelqu'un m'a dit que je devais être sacrément insolente pour me prendre des gifles aussi violentes."

"Astrid m'a dit que ce n'était pas normal que papa me frappe mais papa me dit qu'il fait ça parce qu'il m'aime."

"Papa ne me frappe jamais quand les filles sont à la maison, tant mieux. Elles ne peuvent pas comprendre."

"Je n'en peux plus, j'ai encore dû me réfugier chez ⴷⵊⵉⴷⴰ avec Sam ce soir, papa me fait peur. Demain, j'irai chez Astrid."

"Papa va me tuer."

"Tu me manques Yemma, j'aimerais que tu sois là. Pourquoi m'as-tu abandonnée ? "

AmnesiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant