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 Je serre doucement ma sœur contre moi, tandis qu'elle sanglote en silence et que j'effectue de petits cercles dans son dos. La voir dans cet état me brise, mes yeux me brûlent et je peine à retenir mes larmes. Mais je ne dois pas pleurer, je dois lui montrer que je suis forte, c'est mon rôle de grande sœur. Alors je ferme les yeux pour étouffer la moindre goutte qui tenterait de s'en échapper .

Mon étreinte se resserre de nouveau et je la laisse pleurer, aussi longtemps que nécessaire. Je ne sais pas combien de temps nous restons debout dans ce couloir, à se serrer mutuellement dans nos bras, mais ce n'est qu'après de longues minutes que sa respiration se fait plus régulière, et que tout doucement les secousses et les sanglots s'atténuent.

— Tu m'as manquée Nana (surnom affectif et respectueux pour son aîné en kabyle), prononça ma sœur dans un souffle.

— Toi aussi, tamchicht iw. (équivalent de mon petit chat, surnom affectif kabyle)

Je sais que ça ne se passe pas très bien chez notre père. Maya lui tient tête, il lui hurle dessus, et Léna a horreur des cris. Quand j'étais encore là-bas, j'apaisais les tensions, et arrivais à faire en sorte que ça n'hurle pas trop. Mais Maya provoque et ne se laisse pas faire, la peur que mon père lui insuffle ne suffit pas à la décourager et elle continue de provoquer. 

Léna est introvertie et posée, la situation est horrible pour elle aussi. Elle est forte, serre les dents et ne dis rien, puis relâche toute la pression accumulée une fois que nous ne sommes que toutes les deux. Elle renifle une dernière fois et me lâche. Elle essuie ses yeux rougis et ses boucles brunes collent à son visage à cause de ses larmes, ce qui me fait rire gentiment. Face à son incompréhension, je l'emmène dans la salle de bain et elle rit à son tour devant son reflet. Après s'être raffrachie, elle prend une grande inspiration et on descend ensemble. 

Même si on n'en parle pas plus, je note pour moi-même que je devrais passer une journée en tête à tête avec chacune de mes sœurs. Comme me l'a dit ⴷⵊⵉⴷⴰ, elles ont besoin de moi, et comme mon frère est absent, je vais devoir assurer pour deux. Ce besoin est réciproque, ne plus les voir au quotidien me manque. 

Une fois attablées devant nos milles trous, nous mangeons de bon cœur, échangeant sur nos journées. L'ambiance est légère et agréable, nos rires résonnent en coeur. Ce soir, nous évitons les sujets qui fâchent. La prochaine fois, nous parlerons de ce qui nous tracasse.
Alors que nous sommes en train de terminer , et que ma grand-mère s'attèle à la préparation de la chorba (plat algerien) pour ce soir, mon téléphone sonne. 

— C'est papa, ça vous dérange si je réponds ? 

Leurs visages se figent, mon père n'est pas des plus agréables, mais je ne me vois pas l'ignorer. Ma grand mère décrypte mon débat interne et intervient,

— Décroche ma fille, vas-y.

Je m'exécute et actionne le haut parleur..

— Bonsoir papa, je suis chez ⴷⵊⵉⴷⴰ avec les filles !

— Tu ne veux pas arrêter de l'appeler comme ça et l'appeler mamie comme tout le monde, souffle mon père exaspéré.

Je me demande souvent pourquoi il a épousé une kabyle alors qu'il me demande constamment d'étouffer tout ce qui pourrait me ramener à mes origines. Il change de sujet, demandant à mes sœurs si elles ont fait leurs devoirs sans même un bonjour. Leurs visages laissent transparaître leur mal-être, me voilà de nouveau/encore une fois impuissante. Vient mon tour de lui faire le compte-rendu de mon travail. De toute façon c'est bien la seule chose qui l'intéresse chez moi, mon travail. Il ne m'appelle que pour ça, mais je m'y suis faite. Je préfère ça que de ne pas avoir de père du tout.

AmnesiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant