Chapitre 5

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Il passa la nuit à réfléchir, hanté par la vision d'une personne croisée une seule fois, plongé dans un tourment délicieux.

Sa chambre était plongée dans une douce pénombre, éclairée seulement par une faible lueur. Cette lumière tamisée créait une ambiance intime et propice à la rêverie.

Il rêvait les yeux ouverts, telle était son habitude.

Il se tourna vers ses livres, cherchant dans les pages une distraction ou peut-être une réponse. La lecture, habituellement une évasion, se transforma en un miroir de ses propres pensées. Les pages tournaient, mais son esprit restait fixé.

Chaque minute devint une exploration intérieure, une quête pour comprendre pourquoi cette personne, si brièvement entrevue, occupait une place aussi démesurée.

Le matin finit par poindre, apportant avec lui une lumière nouvelle. Il décida de se reposer pendant quelques instants.

Il se disait que la rejoindre dans un tel état n'était pas raisonnable.

...

Un pas devant l'autre, il marchait, essayant de repousser ses pensées. Il l'aperçut de loin, la lumière dorée caressant sa silhouette, tout comme la dernière fois.

En arrivant à elle, il la salua d'une petite voix. Il remarqua une rassurance dans ses yeux. Elle lui prit la main et l'entraîna vers un banc.

Elle prit place à ses côtés et respira profondément, prête à parler. Décidément, elle ne voulait pas perdre de temps.

_ Maintenant racontez-moi tout. Comment avez-vous vécu jusqu'à présent ? Comment était votre vie avant de me rencontrer ? Que faisiez-vous de vos journées ? Questionna-t-elle sans le lâcher du regard.

Il prit une profonde respiration instantanément.

_ Je ne suis pas certain que vous auriez assez de patience pour ça, ou du moins... j'en doute que mes paroles soient exaltantes ou palpitantes.

Elle se retourna vers lui en souriant.

_ Mais voyons, je ne cherche pas à écouter une histoire féerique, je ne cherche pas un discours passionnant de votre part, seulement à vous connaître, vous, votre personne. Qui êtes-vous quand personne ne vous regarde ?

Il sourit à son tour, un de ses véritables sourires qui enchanta cette jeune femme.

Le connaître.

Réellement ?

Pourquoi personne avant elle n'avait pris ce courage ?

Était-ce un de ses rêves idéaux ? Ou naturellement, sa réalité ?

_ Très bien, dit-il dans un soupir. Je ne vous ai toujours pas demandé votre prénom, pardonnez-moi.

Elle laissa échapper un rire aussitôt.

_ Il était temps, Monsieur !

_ Pardonnez-moi, répéta-t-il.

Dans l'instant qui suivit, il lui prit la main pour l'embrasser. Elle écarquilla les yeux précipitamment en rougissant.

_ Mais ce n'était pas nécessaire !

_ Oui, mais... je devais bien trouver une excuse pour le faire, vous savez... Hier, en me séparant de votre main... je n'ai pensé qu'à la retrouver, je l'admets, c'est enfantin, mais je ne voyais pas l'intérêt de vous cacher cela.

Encore rouge, elle l'examina du regard, éblouie par son geste.

Après quelques instants, elle décida toutefois d'interrompre le silence.

_ Je m'appelle Talya, dit-elle finalement d'une voix légère.

Toujours sa main dans la sienne, il se sentit comblé. Il leva la tête pour la regarder à nouveau. Prenant une profonde inspiration, il laissa ses pensées se libérer, comme un fleuve trop longtemps endigué.

_ Très bien, Talya... Talya. Merci, ma chère Talya, prononça-t-il dans un murmure. Je vais vous réciter mon vécu, tel est votre souhait. Mais en revanche, je vous prie de ne pas me couper, cela risquerait de me faire taire à jamais.

Elle sourit, comme à son habitude, réjouie par cette nouvelle, en se rapprochant de lui davantage.

_ Je mène une vie marquée par la solitude, où chaque jour se déroule dans une série d'habitudes bien ancrées... Je me lève souvent à la même heure, suis les mêmes chemins et effectue les mêmes tâches quotidiennes. Ma journée commence en regardant par la fenêtre. Le silence est mon compagnon le plus fidèle, et les interactions humaines sont rares et souvent formelles, commença-t-il. Néanmoins, au lieu de me sentir oppressé par l'isolement, je trouve une certaine richesse dans l'observation du monde. Le va-et-vient des passants... Les changements subtils de la nature... Les jeux de lumière et d'ombre sur les bâtiments. Chaque scène devient un sujet de réflexion profonde. J'analyse les comportements, j'imagine les histoires des gens.

Il leva la tête dans un soupir pendant un instant.

_ Vous savez, ma chère Talya... On ne choisit pas d'être seul. Mais pour ma part... je l'ai choisi. Les voir quotidiennement briser le réel qui était en moi était intolérable. C'était bien réjouissant d'entrer dans leurs bâtiments, accueilli par un sourire médiocre, mais en sortant, je pouvais démêler les souffles de soulagement sans effort. Pourquoi m'avoir invité si ma présence était si dérangeante ? Pourquoi fallait-il qu'ils soient tous véritablement semblables ?

Il baissa la tête pour observer à nouveau sa main toujours scellée à celle de cette jeune femme.

_ Ma chère Talya... Je suis une personne épouvantablement seule. Je trouve perpétuellement la splendeur dans les détails du quotidien et de l'intimité dans le silence. À vrai dire... je subis ma nature, je subis ma propre existence sans répit. Être dans ce corps est épuisant. Ma vie est une épreuve constante, une succession de moments d'endurance face à un océan intérieur...







À suivre

Le rêveurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant