Chapitre 9

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_ Matvey !

Le jeune homme leva les yeux et, à quelques mètres de lui, se tenait Yaroslav, son ancien camarade. Il le reconnut immédiatement.

_ Matvey ? C'est toi ? demanda Yaroslav avec un sourire incertain, espérant raviver leur ancienne complicité.

Matvey le contempla avec un regard sombre et fatigué. Il ne ressentait qu'une lassitude encore plus profonde. Il détourna rapidement les yeux, préférant regarder les feuilles qui dansaient au gré du vent plutôt que de faire face à cette rencontre imprévue.

_ Yaroslav... murmura-t-il sans esquisser le moindre sourire.

Il ne voulait pas engager la conversation, ni même le regarder. Les souvenirs des années passées, les rêves brisés et les attentes déçues pesaient trop lourdement sur ses épaules.

Peu à peu, ses pensées commencèrent à dériver. Il fut emporté par un flot de souvenirs, oubliant même le déroulement des actions précédentes.

"Paranoïaque, il souriait quand il me détestait.

C'était sauvage, comment l'imposture se justifiait.

Tout ce que je sentais, c'était de la moisissure dans les coins.

Je n'ai jamais voulu m'éloigner, mais mon cœur me faisait mal.

Quand je le contemplais, mon cœur me faisait mal.

Je ne me suis jamais senti aussi immonde de ma vie.

À l'époque, lorsqu'il m'a lancé ce dernier regard avant de suivre son chemin.

C'était un regard hypocrite, et j'en faisais des cauchemars.

Je n'ai jamais voulu m'éloigner, mais mon cœur attendait l'impossible.

Ce cœur-là a voulu tant donner, mais je l'ai retenu. Si c'était du papier, je l'aurais déchiré, si c'était un livre, je l'aurais brûlé, si c'était un mur, je l'aurais fracassé, mais c'était mon cœur.

Ce dernier regard n'a jamais quitté ma tête.

Lorsque je mangeais, lorsque je marchais sur la route, lorsque je respirais l'air frais du matin, dans les voitures, dans la mer, et lorsque je levais la tête vers le ciel, je voyais toujours ce regard.

Mais j'avais compris que c'était la même histoire. L'histoire se répétait, semblable à une farce impitoyable.

Essayer de leur plaire était une mission suicide. Je voulais me transformer en fantôme, je ne sentais plus mon corps.

Il disait que j'étais brisé, les os brisés, je ne sentais plus personne.

Je soignais mes cicatrices dans le froid ; laisse-moi geler à présent.

Je marchais lentement sur une route solitaire, je ne pourrais pas me sauver.

J'ai des insectes dans ma conscience, je pourrissais...

Merde.

J'ai des limaces dans mon système.

Il me demandait si j'allais bien ?

Est-ce que quelqu'un aurait véritablement pitié de moi ? Mais après tout, qui allais-je impressionner en avouant que j'allais mal ?

C'était du cinéma, presque dégoûtant. La réalité, c'est qu'ils étaient totalement désintéressés de ma personne."

_ Comment as-tu vécu pendant toutes ces années ? Je t'avais connu insociable ! Toujours enfermé dans ta chambre ! D'ailleurs, comment va Anastasia ? Je présume que ça doit être difficile avec sa maladie !

Matvey s'évada enfin de ses pensées et décida de lever son regard vers son ami d'enfance.

_ Une maladie ?

_ Eh bien oui, tous les habitants de la ville savent qu'elle souffre de pertes de mémoire.

Le jeune homme ouvrit grand les yeux. C'était comme si la lumière cherchait à l'atteindre à nouveau, à le réchauffer, à le rappeler à la vie.

"Tous les habitants de la ville le savaient sauf moi ? Dans quel genre de grotte étais-je ?"

Il se rapprocha de son ami lentement, ses mouvements encore prudents, comme s'il craignait toujours que cette sensation nouvelle ne soit qu'un rêve fragile.

_ Au fait, Matvey ! Je t'avais aperçu hier, accompagné d'une charmante femme. Tu ne comptais rien dire à ton vieil ami ?

Il inspira profondément, ne croyant pas ce qu'il avait entendu. Chaque respiration était comme une renaissance, chassant les ténèbres accumulées.

À cet instant, il entendit le chant des oiseaux... Un son qu'il avait oublié.





À suivre

Le rêveurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant