AU-DELÀ DE TES OMBRES [terminé]

Chapitre 15

Hailey

J - ...

Deuxième nuit dans le box. Le décompte ne sert plus à rien. Un jour et demi que Jayden est parti à la poursuite de Sweet Girl. Qu'il rentre au petit jour, qu'il reste encore deux jours absent n'a plus d'importance. Plus rien n'a de sens dans ces heures interminables qui s'étirent jusqu'à la douleur, jusqu'à l'étouffement de la moindre envie de rébellion.

J'ai pris l'habitude de me recouvrir de paille pour me protéger du froid. J'étais pourtant suffisamment habillée pour mon escapade en montagne. Dans le Montana, même en été le vent te rappelle vite à l'ordre, surtout au pied de Rocky Mountain. J'avais tout prévu pour mon petit séjour de deux semaines chez Jayden Carlton.

La nuit dernière, les bruissements dans la paille m'ont empêchée de dormir. Quelque chose que je ne pouvais pas voir furetait, se déplaçait à toute vitesse. Des insectes, des petits rongeurs le plus souvent, si j'en crois les couinements qui accompagnaient leur remue-ménage. Je suis si fatiguée que j'ai dépassé le stade de la peur.

Je ris nerveusement, en silence pour ne pas attirer l'attention de mon garde-chiourme. Brad est venu remplacer son collègue il y a quelques minutes. Je les reconnais à la voix. Jonas le corbeau envoie ses sous-fifres à la manœuvre pendant que lui-même dort paisiblement dans son lit.

J'attends le sommeil, les yeux grands ouverts dans le noir. Je suis épuisée et pourtant le repos me fuit. Sans compter mon envie obsessionnelle de soulager ma vessie. Je me lève, soulevant sans effort ma couverture de paille. J'ai suivi les conseils de Jonas le corbeau, j'ai réservé le coin opposé du box à mes besoins naturels. Je le recouvre de paille dès que j'ai terminé. L'odeur n'est pas gênante, pour l'instant, mais elle pourrait le devenir si je restais trop longtemps ici.

Cette seule pensée me tire des larmes de dépit. Jayden ne va tout de même pas s'éterniser des semaines en montagne pour retrouver sa jument. Je veux croire qu'il sera là demain, qu'il viendra lui-même me libérer de ma prison, et que cette fois Jonas le corbeau va payer très cher sa traîtrise.

Je m'adosse dans l'angle où j'ai entassé la paille pour confectionner un matelas. J'y ai aussi entreposé l'eau que j'ai économisé sur ma ration quotidienne. Ce matin, elle m'a servi à me rafraîchir le visage et à me rincer la bouche, avec des brins de paille en guise de brosse à dents. J'ai droit à un litre par jour. C'est l'indication que m'a aimablement fournie l'un des hommes en noir, en me tendant la bouteille entre les barreaux. L'information m'a autant sapé le moral que s'il avait précisé le nombre de mes jours d'emprisonnement.

Hier matin, il a joint à la bouteille un sac en papier contenant trois sandwiches infames, sans accompagnement, composés de viande hachée et de fromage. C'est ma ration pour la journée. Mon tortionnaire a tenu parole, pas de régime de faveur pour la petite emmerdeuse.

Les genoux remontés sous le menton, les bras autour du corps pour me réchauffer, je songe aux événements des dernières heures avant ma fuite. Le regard de Jayden sur moi, le velouté de ses yeux noirs quand sa colère à mon égard les déserte, sa peau nue contre la mienne, ma main sur sa cuisse recouverte par sa paume brûlante, sa voix chaude contre mon oreille, un brin taquine. Tout pourrait mieux se passer entre nous si je lui en laissais l'opportunité, mais ça, je ne le prononcerai jamais à haute voix.

Je ne sais pas ce qu'il éveille en moi. Je ne peux pas parler de réveil, je n'ai jamais rien ressenti de pareil. Ni avec Masson avant qu'il ne cherche à prendre de force ce que je n'étais pas prête à lui donner, ni avec ceux qui ont tenté de me le faire oublier. J'ignore ce qu'est l'amour, je ne l'ai pas encore rencontré.

Wendy aime Leroy. C'est ce qu'elle affirme. « Tu sais, Hailey, il est con parfois, mais je l'aime. » Qu'est-ce que cela veut dire ? Je m'en veux de ne jamais le lui avoir demandé. Est-ce que ça ressemble à l'amour que l'on porte à ses parents, sa famille, sa sœur ? J'aime papa, et Lessy, et... maman. Maman pour toujours. Jusqu'à la fin.