Kah-Nor. Cette fiente d'oiseau dégénéré ! Comment avait-t-il osé poser un pied sur mes terres ?
Je fulminais en faisant les cent pas sous ma tente. Je n'aurais jamais pensé qu'il put déjà être aussi avancé sur notre territoire ! De plus, le soldat envoyé en éclaireur, une fois remis de ses émotions, avait rapporté que les hommes du roi ennemi n'étaient pas des centaines, mais bien des milliers. Comment mon armée, bien qu'étant d'une efficacité hors-pair au combat, pourrait-elle vaincre des milliers de soldats ?
Je fus tirée de mes pensées noires par un officier qui entra sous ma tente. Après un salut rigide, il m'annonça que les troupes de Kah-Nor s'étaient arrêtées pour la nuit, à deux kilomètres de notre propre campement.
– Très bien, lui dis-je, tentant de ne pas montrer ma fureur. Dites aux hommes de dormir, demain, nous nous réveillerons avant l'aube afin de les prendre par surprise.
Il hocha la tête sans un mot, s'inclina et sortit. Je décidai tout de même d'aller voir moi-même mes hommes avant la nuit. J'attendis quelques minutes afin de calmer la tempête intérieure qui m'agitait et sortit dans la nuit. L'officier avait suivi mes ordres à la lettre et les soldats étaient en train de rentrer sous leurs tentes. Je m'arrêtais quelques minutes avec chacun d'eux pour échanger quelques mots.
Quand j'eus vu tous mes soldats, je fis quelques pas à l'extérieur du camp. Je levai les yeux vers la lune, impassible dans le ciel d'encre. La pensée que c'était peut-être la dernière fois que je la voyais me vint à l'esprit et je sentis une larme rouler silencieusement sur ma joue.
– Elle est belle, n'est-ce pas ?
Je me retournai brusquement, surprise.
– D'autant plus que nous ne serons probablement plus là pour la voir demain, reprit la voix, mélancolique.
Je distinguai alors une jeune femme, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans, adossée contre un arbre. Ses cheveux dorés étaient attachés en une longue tresse qui lui descendait jusqu'aux reins et ses yeux d'un marron noisette brillaient dans l'obscurité d'un éclat doux.
– Qui êtes-vous ? lui demandai-je, curieuse, en m'approchant.
– Je fais partie de vos soldats, Majesté, dit-elle calmement.
– Il ne me semble pourtant pas vous avoir déjà vue, riposte-je en fronçant les sourcils. Et je compte peu de femme parmi mes soldats, il est étonnant que je ne vous ai pas remarquée plus tôt.
Elle sourit, d'un sourire doux à la fois enfantin et sage.
– Je sais ne pas me faire remarquer, Votre Majesté.
– Appelez-moi Élérida, dis-je, sans vraiment savoir pourquoi.
La jeune femme haussa un sourcil, perplexe, mais ne fit aucun commentaire.
– Avez-vous peur, Élérida ? demanda-t-elle plutôt.
Je m'assis à côté d'elle et posai ma tête contre le tronc de l'arbre. Les étoiles scintillaient faiblement dans le ciel. Je voulais me confier, je devais me confier. Oui, j'avais peur, viscéralement peur, mais je m'étais juré de ne le dire à personne. Pourtant, je savais que cette fille n'était pas comme les autres. Il émanait d'elle une aura douce et paisible, une sorte d'énergie rassurante. Je savais que quoi que je lui dise, elle ne me jugerait pas. C'était une expérience nouvelle et perturbante, moi qui avait toujours tout fait pour ne pas montrer mes émotions, moi qui préférait régler les problèmes par l'acte que par la parole, moi qui me fermait comme une huître quand il était question de parler trop en détail de ma personne.
– Oui... soufflai-je. Oui j'ai peur. Peur de ne jamais revoir la lumière du jour, peur que cette journée soit ma dernière, et j'ai peur d'échouer, que Kah-Nor prenne le pouvoir sur le Royaume, j'ai peur pour mes soldats qui me suivent aveuglément alors que je les mène à la mort, j'ai peur pour ma mère qui est restée au château et qui n'est plus toute jeune, j'ai peur pour ma meilleure et seule amie qui ne sait même pas manier une arme, j'ai peur pour tous mes sujets, de simples gens qui n'ont rien demandé et qui dépendent de ma réussite... J'ai peur d'échouer, de tous les condamner, mais je ne peux rien dire, rien montrer de mes émotions, de mes peurs et de mes doutes...
Les larmes s'étaient inconsciemment remises à couler sur mes joues au fil de mes paroles et je les essuyais d'un geste rageur. Je ne pouvais pas montrer ma faiblesse.
La jeune femme m'avait écoutée sans dire un mot, les yeux fermés. On aurait dit qu'elle s'était abreuvée de mes mots, et à travers eux, de mes angoisses.
– C'est normal d'avoir peur, fit-elle. Surtout quand on est un chef. Mais ne doutez jamais de vous, Élérida, votre cœur est fort, votre esprit encore plus. Des gens mourront demain. Des gens qui, au contraire de ce que vous pensez, ne vous suivent pas aveuglément mais ont choisi de vous suivre en toute connaissance de cause. Chaque homme ici sait qu'il peut mourir à chaque instant et le sait depuis qu'il s'est enrôlé dans l'armée. Ne croyez pas qu'ils vous suivent vous, en tant que Reine. Ils vous suivent pour leur famille, pour leur patrie. Ne perdez pas espoir, tout peut arriver, le pire comme le meilleur.
– Merci, dis-je, sincère, en me levant.
Elle ne me répondit pas mais me sourit doucement.
Je fis quelques pas puis me retournai, voulant lui demander son nom. Elle avait disparu.
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La Fille du Loup
FantasyCeci n'est pas une épopée fantastique où de jeunes héros sauvent le monde, ce n'est pas non plus un traité philosophique, ni un roman d'amour à l'eau de rose. Non, ceci est l'histoire de l'étrange vie d'une jeune fille qui a vu sa vie bouleversée le...