Quelle horreur ! Des ruines. Des tas de pierre. Des bâtiments endommagés. Un temple détruit. En son centre, un trou béant. Ils avaient provoqué ce désastre. Lui, ses alliés, ses anciens compagnons de guerre. L'impact des deux Athéna Exclamations avait failli détruire entièrement le Sanctuaire sacré et eux avec. Quelle folie !
Pourtant, il l'avait commis, cet acte insensé, comme un élan de désespoir, comme la seule façon de dire que... Il n'arrivait plus à parler. Sa voix restait coincée dans la gorge. Il n'entendait plus ni le vent, ni les paroles des autres, ni les gravats dégringolant. Ni même l'horloge au loin. Il respirait, mais les parfums un brin iodés et délicats du Sanctuaire mêlés à la poussière flottante ne parvenaient à son cerveau. Les gouttes de sueurs et de sang sur le visage perlaient jusqu'à sa bouche, insipides. Son corps entier était blessé, meurtri. Il était un guerrier puissant, capable d'envoyer ses adversaires vers d'autres dimensions et ses poings étaient si destructeurs qu'ils pouvaient désintégrer des galaxies. Il était maitre des illusions et des labyrinthes. Pourtant, il ne sentait plus rien. L'air sur sa peau passait comme si rien n'était. Les bras tuméfiés les jambes brunies d'hématomes, le flanc gauche à nu, privé de protection. Il n'avait mal nulle part. Il ne tenait pas bien debout. Même cet habit sombre, cette mauvaise imitation de l'armure des Gémeaux n'était pas si lourde sur les épaules. D'une certaine manière, c'était une bonne chose d'avoir perdu pratiquement tous ses sens.
Façon de parler.
Il ne lui restait que la vue.
Quelle ironie !
Ses yeux bleus fonctionnaient à la perfection. Ils observaient minutieusement chaque détail de cette scène de chaos. Les étoiles dans le ciel dansaient, paisibles, alors que sur terre, un tas de pierre gisaient, des corps remontaient, lentement, endoloris. Alliés et adversaires s'étaient relevés de la déflagration. Un vrai miracle. Tous vivants. Pas de quoi se réjouir non plus. Une tension palpable, pénétrante lui faisait comprendre que rien n'était terminé. Au contraire.
Un manège sans fin.
Il regarda la grande horloge : encore deux flammes brulaient, une troisième diminuait d'intensité. Plus que deux heures et demi environ. Le temps était compté. Ils devaient se dépêcher, atteindre le sommet des marches, prendre la tête d'Athéna, accomplir cette maudite mission. Il était déterminé. Il fallait aller jusqu'au bout.
C'était bien pour ça que Shaka lui avait laissé la vue, n'est-ce pas ? Pour que lui, Saga des Gémeaux grave à tout jamais dans sa rétine cette nouvelle bataille entre chevaliers d'Athéna inutile, fratricide, mais nécessaire. Il en était persuadé. Il quitterait cette Terre en voyant le Sanctuaire dévasté et ses anciens alliés au sol. Au moment de rejoindre les Enfers une dernière fois, il garderait dans son esprit les assauts désespérés de Milo ou d'Aiolia, le calme fragile de Mu, la volonté de Camus et Shura à se remettre sur pied.
Saga ne voulait pas seulement garder ça de cette vie. Non. Par le passé, certes, il avait fait des erreurs que beaucoup ne pourraient lui pardonner facilement. Il avait cédé au Mal. Pourtant, même sous les ordres de cette Pandore, il restait...
Un filet translucide, rose voletait autour des six chevaliers. Ils étaient encore surveillés. Encore et encore. Il n'avait même pas le droit de ressentir ce qu'il y avait au plus profond de son âme. Il fallait en finir. Se débarrasser du Bélier, du Scorpion et du Lion, prendre la tête d'Athéna...
Une voix divine l'interpela. Lui et les autres. Il l'entendait à la perfection, comme s'il n'avait pas perdu son ouïe.
« Mu, Milo, Aiolia. Arrêtez le combat. Amenez Saga, Camus et Shura jusqu'à moi. »
La jeune déesse avait parlé.
Le chevalier des Gémeaux percevait la surprise sur le visage des cinq hommes. Lui même se demandait ce qui allait se passer. Plus que deux flammes sur l'horloge. Le temps était compté et plus question de le gaspiller en combats inutiles.
Milo et Aiolia soulevèrent le Verseau et le Capricorne comme des poupées de chiffon. Ils prirent quelques secondes pour s'assurer que les deux tiennent à peu près sur leurs jambes, prêts à avancer. Mu planta ses yeux en amande dans le regard de Saga. La douceur avait disparu du visage clair. Les lèvres bougeaient, il devinait ses propos :
« Ne trainons pas, Saga. Athéna vous veut vivants. »
Le chevalier des Gémeaux se jugeait stable. Même s'il n'arrivait pas à ressentir toutes les douleurs de son corps, son équilibre était intact. Il franchirait seul les escaliers qui le séparaient d'Athéna seul, sans aide. Mu ne lui faisait pas confiance et restait à ses côtés.
Saga n'avait plus rien à faire de ces précautions. Pour la dernière fois, il montait les marches du zodiaque. D'une allure régulière, le regard fixe, vers le sommet, vers la grande silhouette de pierre. Il imprégnait dans sa rétine ce paysage antique, en ruine, ces douze Maisons dépourvues de leurs gardiens partis en urgence ou disparus au combat. Récemment ou il y a treize ans de cela... Sans détourner le regard, il avançait. À l'occasion, il observait autant que possible chaque détail : une dalle brisée, l'horloge sur laquelle la seconde flamme rapetissait, le Sanctuaire en contrebas, les étoiles dans le ciel, la Maison du Sagittaire au bout de laquelle un mur était en miettes. Où un message d'espoir y avait été gravé. Aiolos. Parti, lui aussi.
À quelques mètres, Mu l'attendait. Saga reprit le rythme de marche. Le regard droit devant. Plus rien ne le ferait revenir en arrière. Plus de regret. Camus et Shura suivraient. Encore trois temples à traverser. Encore quelques minutes pour se souvenir de ce lieu sacré où il avait grandi, où il avait juré loyauté. Ce Sanctuaire qu'il avait lui même gouverné.
Il adressa une prière muette : puisse le temps s'arrêter. Puisse-t-il lui accorder quelques minutes supplémentaires. Pour parler à Athéna. Pour retrouver son frère jumeau. Pour que les espions d'Hadès ignorent ses véritables intentions. Pour tant de choses encore. Puissent les flammes de l'horloge se figer. Puisse-t-il lui, Saga des Gémeaux, montrer qu'il est le grand chevalier d'Or puissant, indestructible. Puissent les dieux leur autoriser un répit avant le combat final...
Cependant le Temps ne peut être maitrisé comme on manipule l'esprit d'un humain. Il règne en maitre, joue des tours. Il fait croire que les événements se passent au ralenti, comme une torture. Et au contraire, il accélère les choses, pour que le cerveau ne garde que l'essentiel.
Le pardon d'Athéna. Son sourire triste. Ses larmes abondantes. Cette dague dorée. La lame piquant le cou gracile. Les gouttes écarlates explosant autour d'eux. Un voile noir.
Ils étaient retournés au château d'Hadès, un linceul dans les bras.
Les flammes de l'horloge allaient s'éteindre sous peu. Celle dans le cœur de Saga était toujours vive. Il tiendrait jusqu'au bout. Il montrerait au Seigneur des Enfers la vraie puissance des Chevaliers d'Athéna. Cette lumière éblouissant les galaxies.
notes de fin:Merci d'avoir lu ce OS et ce recueil entier. Plonger dans le cœur deSaga n'était pas si facile, malgré le fait que je l'aime vraimentbeaucoup. Simplement lui laisser la vue, ça pourrait êtretranquille pour écrire, ben non. C'est bien plus dur. Mais çavalait la peine.
Je vous fais des bisous à la prochaine pour unautre écrit quel qu'il soit.
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Tous les Saints, les OS
FanfictionRecueil de OS sur Saint Seiya, de tout ce que j'ai pu écrire sur des personnages de cet univers et sans UA. - U R not Alone (amitié post résurrection entre Seiya, Saga et Aiolos) - Ma vie de Grand Pope (OS dans lequel Kanon est le Grand Pope. Texte...