Chapitre 3

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Debout devant le miroir sur pied de sa chambre, Gabriel tentait de mettre correctement sa cravate qui avait décidé d'être réticente ce matin. C'était la cinquième fois qu'il essayait de faire un nœud digne de ce nom. La fatigue devait y être pour quelque chose, vu qu'il avait fermé l'œil à peine une heure. Le compteur s'élevait à quatre heures de sommeil en deux jours, son esprit était embué comme s'il avait bu l'entièreté d'une bouteille de vin la veille. La journée allait être longue.

— Pourquoi tu bougonnes ?

La voix encore endormie de Jordan le coupa dans sa tentative, il jeta un œil par-dessus son épaule pour croiser son regard. La vision qui s'imposait devant lui eut le mérite de mettre fin à son agacement. La couette posée nonchalamment sur les hanches, un bras sous l'oreiller, Jordan le fixait avec un rictus qui se transforma en sourire en coin lorsqu'il remarqua son insistance.

— Si tu continues à me regarder comme ça, je vais avoir du mal à me retenir de te sauter dessus.

Gabriel laissa échapper un rire gêné en détournant le regard. Il aurait aimé rester avec lui aujourd'hui ou même quelques heures, mais son statut de Premier Ministre ne lui laissait pas le temps pour ce genre de confort.

— Viens là.

Jordan se redressa pour s'asseoir dans le lit, alors que Gabriel traversait la pièce pour le rejoindre. Il attrapa les deux pans de sa cravate et en quelques mouvements, lui fit le nœud en réajustant le col de sa chemise.

— Merci, sourit-il en resserrant la ceinture de son pantalon. Tu as quoi de prévu aujourd'hui ?

— J'ai un rendez-vous avec Marine à 9h. Ensuite, je prends l'avion direction Marseille pour un meeting et normalement, je rentre dans la soirée.

— On se voit, ce soir ?

— Je vais essayer de me libérer. Tu as ton rendez-vous avec Macron ?

— Oui, dans moins d'une heure et je crois que je vais être en retard, dit-il en enfilant sa veste de costume. S'il me parle des édits, je fais quoi ?

— Trouve une excuse. Il ne doit pas savoir.

Gabriel acquiesça simplement sans rien ajouter. Il déposa un baiser furtif sur les lèvres de Jordan et quitta la chambre. Il ignorait quelle excuse il pourrait donner au Président, il avait le trajet pour y réfléchir, mais une chose était sûre, il allait devoir trouver rapidement.


*

— J'ai faim.

— Comme c'est étonnant !

— Il y a encore des gâteaux ?

Sans relever le nez du dossier qu'elle était en train de lire, Marine Le Pen désigna le placard au fond de la pièce dans laquelle ils étaient installés. Jordan se leva et alla fouiller dans la direction indiquée. Il revint avec un paquet de madeleines qu'il s'empressa d'ouvrir.

— L'avion décolle à quelle heure ? demanda-t-il en enfournant une madeleine dans sa bouche.

— Midi. Le temps de faire le trajet jusqu'à l'aéroport, ça nous laisse deux heures pour clarifier la situation et j'imagine que tu sais déjà de quoi je parle.

Évidemment. Ce matin, Gabriel ne serait pas le seul à devoir rendre des comptes. Par chance, il était plus doué que lui pour masquer ses émotions.

— Je vais être direct, reprit-elle en retirant ses lunettes avant de plonger son regard dans celui de son vis-à-vis. Est-ce que tu as une aventure avec Gabriel Attal ?

Un silence pesant s'abattit sur eux. Ils se jaugeaient sans que ni l'un ni l'autre ne daigne ciller puis, après de longues secondes, Jordan éclata de rire.

— J'espère que vous plaisantez ?

— Est-ce que j'en ai l'air ?

— Marine, je vous en prie. Je ne mange pas de ce pain-là. Et admettons que ce soit le cas, ce ne serait pas avec le toutou d'Emmanuel Macron.

— J'ai vu le débat, Jordan, insista-t-elle. J'ai été surprise de ton approche et, visiblement, je n'ai pas été la seule. Les réseaux sociaux s'enflamment, les rumeurs courent que le Président du Rassemblement National a une histoire avec le Premier Ministre qui n'est autre que son rival. Ce serait presque le scénario d'un film.

— Comme vous le dites si bien, cela pourrait être un film. Tout ça n'a rien à voir avec la réalité. J'ai tenté une approche différente et je me suis trompé.

— En draguant ouvertement le Premier Ministre qui crie son homosexualité sur tous les toits ?

— Je ne l'ai pas dragué.

Jordan engloutit une seconde madeleine alors qu'il regardait Marine se saisir de son portable et pianoter dessus. Elle tourna l'écran vers lui et lança l'un des nombreux édits qu'il avait déjà vu des dizaines de fois. Un condensé de tous les regards échangés avec Gabriel lors de leur débat et il devait avouer à contrecœur que l'évidence se trouvait sous ses yeux. Seulement, il était hors de question d'avouer quoi que ce soit. Haussant les épaules avec une certaine désinvolture, il fouilla dans le paquet de madeleine.

— D'accord, je lui ai peut-être fait les yeux doux. Je voulais l'amadouer, essayer de lui faire perdre ses moyens pour prendre l'avantage. J'y suis sans doute allé un peu fort.

— Oh, tu crois ?

Elle secoua la tête en soupirant, reposant son portable sur la table.

— Il va falloir trouver un moyen de rattraper cette erreur avant le prochain débat. Cela nous laisse quatre jours pour agir. Par chance, j'ai une idée pour tirer avantage de cette catastrophe.

— Je vous écoute.

— Tous les réseaux sociaux sont en effervescence, certaines vidéos ont déjà plus d'un million de vues et je ne te parle pas des commentaires. Toutes ces personnes sont des électeurs potentiels. Je suis persuadé qu'il ne faut pas grand-chose pour les convaincre de voter pour toi. Alors, tu vas jouer là-dessus.

— J'ai du mal à vous suivre, avoua-t-il en fronçant les sourcils.

— Tu ne comprends pas ? C'est l'occasion inespérée pour enfoncer Attal ! Ton nom est sur toutes les lèvres et avec ce buzz, c'est toute une génération qui a les yeux rivés sur toi. Maintenant, il faut que tu te serves de ton charisme pour gagner cette bataille.

— Vous voulez que je manipule tout internet pour gagner des voix ?

— Exactement.

Jordan retint une grimace. Ce n'était pas la manière de faire qui le dérangeait, manipuler la plèbe était ce qu'il savait faire de mieux. Sauf qu'il y avait Gabriel dans l'équation et il était impossible qu'il en sorte indemne.

— Tu émets des doutes ?

— Non, répondit-il rapidement en se redressant sur sa chaise. Mon but est de gagner, peu importe la méthode pour y parvenir.

Il croisa ses mains sur la table en s'efforçant d'arborer cet air sérieux qu'il possédait lorsque les caméras tournaient autour de lui. Aujourd'hui, il n'y en avait pas, mais il devait rester impassible au maximum. Un sourire en coin étira ses lèvres, un rictus que Marine lui rendit.

— C'est d'accord.

— Parfait.

Sentiments et Trahison - Bardella x AttalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant