Chapitre 8

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Le jour s'était levé depuis plusieurs heures lorsque Gabriel sortit de sa chambre. C'était la première fois qu'il avait le droit de s'accorder une grasse matinée. Son planning pour les prochains jours était chargé, il se demandait même comment il allait pouvoir tenir la cadence. Pour mettre toutes les chances de son côté, il avait décidé de s'accorder une journée off. Il savait déjà qu'il finirait par travailler chez lui sur certains dossiers, mais au moins, il n'avait pas eu besoin de se lever aux aurores.

Étouffant un bâillement avec le dos de sa main, Gabriel s'étira en prenant le chemin de la cuisine. Une nuit de dix heures de sommeil ne pourrait pas rattraper toutes celles qu'il avait perdues ces derniers mois, mais il se sentait mieux. Il alluma la machine à café et pendant que sa tasse se remplissait, il se saisit de son portable. Presque comme une habitude, il lança Instagram et fut rapidement envahi par un nombre incalculable de notifications. C'était devenu son quotidien depuis la sortie de ces édits.

Il se souvenait des mots de Jordan lors de leur dernière discussion, à propos des commentaires soi-disant élogieux à son sujet. Pousser par la curiosité, Gabriel attrapa sa tasse de café et s'assit sur l'une des chaises hautes du comptoir avant d'aller sur le profil de Jordan. Sa première intension, fut de lire les commentaires sous la fameuse vidéo qui avait été l'élément déclencheur de sa fureur, sauf qu'il remarqua que le profil de son petit ami contenait une vidéo récente qui affichait déjà un nombre de vues scandaleux. Il augmenta le son de son téléphone et lança la vidéo.

Il s'était attendu à entendre Jordan s'extasier devant ses résultats aux élections, à annoncer ses projets d'avenir. Il était prêt à tout, mais en aucun cas à ce qui suivit. La vidéo tourna en boucle quatre fois avant que Gabriel réussisse à conscientiser ce qu'il venait d'entendre. Jordan avait fait son coming-out en pleine conférence de presse. D'une main tremblante, Gabriel but une gorgée de son café et ouvrit la catégorie commentaires. Il avait déjà une vague idée de ce qu'il allait trouver, mais ce n'en fut pas moins violent.

Beaucoup de messages de soutien apparut en premier, principalement d'exclamation, d'étonnement face à un fait que personne n'avait vu venir. Il remarqua même que son propre nom était mentionné parfois. Sauf qu'en défilant plus loin, il creusa dans ce que l'humanité possédait de pire. La haine, la violence, le dénigrement. C'était une déferlante de critiques, d'insultes, de menaces de mort. Gabriel ne réussit pas à détacher son regard de cette haine gratuite auquel son petit ami était confronté. Il sentait son estomac se serrer sous la peine qu'il ressentait pour lui, pour eux, pour toutes les personnes ayant le malheur d'aimer quelqu'un du même sexe que le leur. La gorge sèche, Gabriel finit par fermer l'application. C'était l'anarchie sur Instagram, il n'osait imaginer ce que cela devait être dans les médias. Le représentant d'un des partis politique les plus controversés faisait son coming-out en pleine élection. Les journalistes devaient jubiler.

Tenant toujours son portable dans la main, Gabriel mourrait d'envie d'envoyer un message à Jordan pour lui apporter son soutien, mais il se ravisa. Il s'agissait de la révélation la plus importante de sa vie, un simple SMS ne suffisait pas. Il voulait le faire de vive voix. Son souhait de réfléchir à propos de leur relation n'était plus à l'ordre du jour. Jordan venait de lui donner la preuve ultime qu'il attendait secrètement, sans trop y croire.

Comme il l'avait dit lors de son laïus : L'amour entre deux personnes ne devrait pas être une source de conflit.

Il comptait bien y remédier.

*

Jordan sursauta légèrement lorsqu'une pile de magazine s'échoua sur son bureau en faisant trembler ce dernier. Sans bouger, il releva simplement le regard vers la source de l'énergie négative qu'il ressentait et ne fut pas surpris d'avoir devant lui, une Marine Le Pen furibonde.

- J'ai fait le tour du premier kiosque à journaux que j'ai trouvé sur le chemin, et regarde comme tu es magnifique !

Elle désigna les magazines et étala la pile sur son bureau afin qu'il puisse observer toutes les couvertures. Le visage de Jordan resta impassible, il avait lu bien pire sur les réseaux, même s'il s'était évertué à en regarder le moins possible.

- Est-ce que tu peux m'expliquer ce qui t'a passé par la tête ? Tu es devenu kamikaze ? Ou tu t'es levé un matin en te disant que m'humilier sur la place publique serait un bon divertissement !

- Ce n'était pas mon but, répondit-il en balayant les magazines d'un revers de main pour les envoyer sur le coin de son bureau.

- Alors, quelle est la raison qui vaille la peine de fusiller ta carrière ?

- La vérité.

Marine eut un rire sarcastique, trop bruyant à son goût.

- Depuis quand un politicien doit dire la vérité ?

- J'estime que les Français qui nous ont donné leur confiance ont le droit de savoir pour qui ils ont voté, renchérit-il du tac au tac sans se démonter face à la colère de Marine. En revanche, je suis navré que vous l'ayez appris de cette façon.

- Jordan, je t'en prie ! On passe nos journées ensemble depuis que tu es adolescent, je le savais depuis longtemps. Je m'étais simplement dit que ce n'était qu'une crise et qu'en devenant adulte, tu finirais par revenir sur le droit chemin.

Inconsciemment, le poing de Jordan se serra. Son regard était rivé sur le dossier qu'il lisait avant l'arrivée de sa mentor. La colère commençait à grimper comme un serpent rampant lentement le long de son corps. Il ne s'était pas attendu à avoir la bénédiction de Marine Le Pen, mais agir comme s'il était déviant avait le don de l'agacer. Pourtant, il allait devoir apprendre à gérer cette injustice, car il savait qu'elle était loin d'être la seule à penser ainsi.

- Je ne sais pas si tu as conscience de ce que tu as fait, reprit-elle en faisant les cents pas dans le bureau, les mains posées sur les hanches. Je ne préfère pas penser au nombre d'électeurs que l'on va perdre, à moins d'une semaine de la victoire !

- Je pense que ce sera le contraire.

L'étonnement de Marine se lut aisément sur son visage, elle n'était pas habituée à un tel affront de sa part. La marionnette était en train de couper ses fils, sous le désarroi le plus total de sa créatrice.

- Des milliers de personnes pensent que le Rassemblement National est un parti homophobe, reprit-il. Avoir un homme gay à sa tête ne peut que faire taire la rumeur. Si on peut appeler ça ainsi.

- Ce n'était pas à toi de prendre cette décision ! Tu avais une seule chose à faire, c'était répondre aux questions des journalistes et afficher ton plus beau sourire. Personne ne t'a demandé de faire dans le social.

- En d'autres termes, sois beau et tais-toi ?

Un ricanement échappa à Jordan qui referma le dossier ouvert devant lui. Il le glissa dans l'un des tiroirs de son bureau, attrapa sa veste posée sur le dossier de sa chaise et se leva.

- Je commence à en avoir marre d'être votre mannequin, lâcha-t-il en osant croiser le regard de son interlocutrice. Je ne suis pas simplement la belle gueule que vous voulez afficher partout pour faire oublier aux Français qui se cache réellement derrière l'extrême droite. Vous voulez continuer à régner grâce à l'homophobie ? Alors, présentez-vous vous-même aux élections. On verra si les résultats sont toujours aussi concluants.

Sans lui laisser le temps de répondre, Jordan quitta son bureau en quelques enjambées, claquant la porte derrière lui. C'était la première fois qu'il osait s'exprimer ainsi devant celle qui l'avait fait grimpé jusqu'au sommet. Il avait toujours eu un profond respect pour elle et sa famille, mais faire son coming-out devant la France entière avait eu plus d'effet que prévu. Ses oeillères étaient tombées, il était temps de faire ce dont il avait envie et non ce que les autres attendait de lui. Est-ce que, sans même le savoir, Gabriel Attal avait participé à ce revirement de situation ? Sans aucun doute. L'amour avait un don pour rendre les gens aveugle. Pour d'autres, c'était la lueur d'espoir au fin fond du néant.

Sentiments et Trahison - Bardella x AttalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant