Chapitre 6

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Votre dévouée chroniqueuse manquerait à tous ses devoirs en omettant de mentionner que, au bal à Danbury House, l'audacieuse Eleanor Bridgerton a décidé de me défier. Faites de votre mieux, madame la vicomtesse. Vous n'avez pas une seule chance de me démasquer.

LA CHRONIQUE MONDAINE DE LADY WHISTLEDOWN, 12 AVRIL 1815


- Miss Devereux, vos passe-temps ? demanda lord Basilio.

Sophie avait commis l'erreur de quitter le groupe des dames pour aller se servir une part de gâteau et se trouvait à présent à nouveau entourée de gentleman.

- Je suis persuadée que vous êtes une magnifique pianiste, dit lord Fife qui échangea un discret regard avec Louis.

Les deux étant amis, il était clair pour Sophie qu'il espérait avoir une chance supplémentaire de la séduire.

- J'occupe plus mon temps à d'autres activités mais je suis une bonne pianiste, selon mon professeur, dit la jeune femme.

- Quelles autres activités ? s'impatienta lord Houghton.

Assaillie par les attentions, Sophie se braqua et ne parvint pas à répondre. Ses yeux se baissèrent sur ses gants, avec lesquels elles s'étaient mis à jouer. Heureusement pour elle, la musique s'arrêta et ses compagnons en profitèrent pour s'éclipser, désireux de trouver une meilleure partenaire pour une danse.

Sophie resta en retrait, se mettant derrière la table pour observer les couples sur la piste. Ceux qui attiraient les regards n'étaient autres que le vicomte Anthony Bridgerton et sa charmante épouse, la princesse Eleanor. Une drôle de rumeur avait par ailleurs parcouru la salle sur un somme de mille livres en échange de l'identité de lady Whistledown, un défi qu'aurait lancé Eleanor.

- Sophie.

Celle-ci sourit en entendant la voix de Cressida et ne put s'empêcher de se demander pourquoi elle ne dansait pas. Une femme aussi élégante qu'elle devait avoir un carnet déjà bien rempli. 

- Retournez-y, vous n'avez pas à rester avec moi, dit Sophie.

- Ah ?

- Une fois à l'écart, il est dur de se détacher du mur. Quoi qu'on fasse.

- Je préfère le mur aux prétendants, surtout si vous vous y trouvez. 

Cressida lui adressa un sourire poli et Sophie sentit ses joues chauffer. Heureusement pour elle, la blonde changea rapidement de sujet.

- Vous n'avez pas aimé discuter ?

- On a passé la soirée à m'inspecter comme un insecte rare.

- Nous croisons rarement des françaises dans nos salles de bal, plaisanta Cressida. Vous n'aimez pas l'attention ?

- Pas vraiment, répondit Sophie, même si elle sentait la rhétorique dans la question.

- Vous avez de la chance qu'on vous remarque, fit Cressida avec amertume. Même si c'est pénible. Pour certaines, l'attention s'amoindrie.

Sophie aurait voulu comprendre pourquoi Cressida semblait si seule mais lord Cho choisit ce moment pour l'inviter à danser. Elle était prête à refuser, afin de rester un peu plus longtemps avec la blonde, mais celle-ci avait déjà changé de visage.

- Retournez sur la piste, Sophie. Une fois à l'écart, y retourner est ardu.


La danse avait été une épouvantable épreuve pour Sophie. Elle n'avait pas osé regardé son partenaire dans les yeux, ils ne s'étaient pas parlé et ce silence gênant n'aurait pas pu être pire sans tous les regards sur elle. Elle chercha Cressida du regard à la fin de la musique mais elle avait quitté le recoin où elle se trouvait quelques minutes plus tôt.

Sophie se dirigea vers les rafraichissements, tentant de ne pas laisser ses émotions prendre le dessus en sentant les regards la suivre. Si seulement Margaret était là, elle aurait pu se cacher dans son ombre comme au banquet. Elle ne pouvait pas faire ça avec Louis, il parlait avec des gentleman la plupart du temps. 

- Excusez-moi...

Surprise, Sophie sursauta, fit tomber un verre et eut envie de s'enterrer à l'idée que dans une seconde, le bruit allait attirer toute l'attention sur elle. Mais l'homme qui venait de s'adresser à elle rattrapa le verre à temps, empêchant l'incident de prendre une ampleur bien trop grande.

- Je ne voulais pas vous surprendre, je vous demande pardon.

Elle leva les yeux vers l'homme, un grand blond, richement habillé, qu'elle vit pour la première fois. Elle ignorait s'il venait d'arriver ou s'il n'était tout simplement pas venu lu adresser la parole.

- Tout va bien ? s'enquit-il face au manque de réaction de Sophie.

- Je suis désolée, dit-elle en français.

- Ne vous excusez pas.

Elle haussa les sourcils en notant qu'il avait compris sa phrase. Il avait un accent anglais impeccable, il n'était donc pas français. Et comme l'avait fait remarqué Cressida, il y en avait rarement par ici. 

- Miss Sophie Devereux, je présume ? J'oublie toute politesse, je ne me suis même pas présenté. Lord Alfred Debling.

Il la fixa mais, contrairement aux autres gentleman, il ne chercha pas à en savoir plus sur elle et ne proposa aucune invitation de danse. Il se contentait juste de la regarder, comme s'il lui laissait le temps dont elle avait besoin pour répondre. Et cela risquait d'être long, Sophie était pétrifiée de nervosité. 

- Sophie, vous revoilà !

Cressida apparût dans son dos comme si, pendant tout ce temps, elle était cachée et attendait le moment opportun pour surgir.

- Miss Cowper, dit poliment lord Debling avant de s'éloigner, comme s'il dérangeait une conversation entre dames.

- Vous avez résisté à cette danse, continua Cressida sans adresser un regard au gentleman. Vous êtes plus courageuse que vous ne le pensez.

- Je n'ai pas vraiment fait preuve de courage face à cet homme, je n'ai même pas réussi à lui adresser un mot.

- Lord Debling est ennuyeux, vous avez échappé à une conversation qui vous aurait fait mourir, répondit Cressida avec un air moqueur. 

Elle prit le bras de Sophie et ne la lâcha pas du reste de la soirée. Il y eut beaucoup moins d'hommes qui tentèrent de lui parler mais elle n'allait pas s'en plaindre. Et Cressida parlait tellement qu'elle n'avait pas besoin d'ouvrir beaucoup la bouche. Parfois, elle se perdait juste à la regarder et hochait simplement la tête quand la blonde lui demandait son avis.

Lorsque la fin du bal arriva, Louis vint chercher Sophie pour retourner au carrosse. La jeune femme se dit qu'elle n'avait pas passé une abominable soirée. Si elle oubliait tous les moments avec les hommes, et ceux avec les dames, et ne gardait que ceux avec Cressida, cela avait été plutôt agréable. Elle se surprit à sourire en pensant à la prochaine occasion de la revoir, elle l'avait invitée à une promenade dès le lendemain.

- Vous devriez faire attention aux personnes avec qui vous sympathiser, dit Louis, comme s'il lisait dans ses pensées.

- Ah ?

- Miss Cowper ne s'intéresse aux gens que s'ils ont l'occasion de la faire briller, continua son cousin. Savez-vous qu'elle a déchiré la robe de miss Featheringtion ce soir ? De la pure jalousie, plus aucun homme ne s'intéresse à elle... Veillez oublier ce que je viens de dire.

Sophie garda le silence, ne sachant que penser de cela. Cressida avait-elle décidé de lui parler pour lui nuire ? Elle repensait à la façon dont lord Debling était parti précipitamment après son arrivée. Elle n'avait pas envie de laisser ces paroles l'influencer mais elle pressentait qu'elle devait rester vigilante... 

Persuasion | BRIDGERTON T.3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant