Chapitre 5

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Il a toujours été de bon ton dans le beau monde de s'ennuyer, mais assurément, la promotion de cette année a élevé l'ennui au rang des beaux-arts. En parlant d'art, votre dévouée chroniqueuse s'est laissé dire que Margaret Bridgerton avait récemment déclaré qu'elle était sûre de périr d'ennui si on l'obligeait une fois de plus à assister à une soirée musicale émaillée de fausses notes. Il faut avouer que l'absence d'un diamant rend tout notre monde plus... terne.

LA CHRONIQUE MONDAINE DE LADY WHISTLEDOWN, 9 AVRIL 1815


Tout le société londonienne se préparait à la soirée d'ouverture de la saison, devenue tradition depuis le mariage du roi George et de la reine Charlotte, organisée par lady Danbury. Cette année plus encore, le bal rendait tous les gentlemans, les débutantes et leurs mères nerveux. Si la reine ne nommait pas de diamant à l'issue de cette nuit, comment cette saison londonienne allait se dérouler ? 

Sophie avait toujours trouvé que sa discrétion avait ses avantages. Tout d'abord, pouvait errer à la lisière des salles de bal en arborant un air détaché sans que personne ne l'aperçoive. Certes, elle avait envie de danser, elle adorait la valse, pour laquelle elle possédait quelque dispositions. Mais il était plus aisé d'afficher une indifférence au manque d'invitations lorsque l'on était à l'écart des couples virevoltant sur la piste.

Ensuite, le temps perdu en conversations sans intérêt se trouvait réduit de façon drastique. Sa mère ayant renoncé à tout espoir de la voir mettre le grappin sur un mari, elle ne cessait de la pousser vers tous les célibataires de troisième zone qui se présentaient à l'horizon. Sophie n'avait jamais réellement cru pouvoir attirer l'attention d'un célibataire de premier rang, ou même de deuxième rang. Les célibataires de troisième zone étaient ainsi désignés à cause de leur absence de personnalité. Ce qui, combiné à la timidité de Sophie, ne favorisait pas une conversation brillante.

Mais elle n'avait pas prévu que, suivant l'effervescence de la société face à ce premier bal, elle serait si richement vêtue. Elle supposait que tous les regards se posaient sur elle à cause des reflets crées par ses bijoux. Les Devereux ne se vantaient pas de leur richesse en temps normal, mais ils estimaient qu'elle devait être montrée lors des soirées et Sophie en faisait les frais. Ou peut-être que la mention de son nom dans la dernière chronique de lady Whistledown y était pour quelque chose.

Dès l'instant où elle était entrée dans la salle de bal, une foule d'hommes, plus ou moins jeunes, s'étaient jetés sur elle pour l'inviter à danser et discuter. Elle ne devait son salue qu'à son cousin qui, la sentant sur le pont de défaillir, les avait tous éconduits pour l'amener vers les rafraichissements. Juste après, leur attention fut détournée par Penelope Featherington, qui entra dans une somptueuse robe de soie émeraude.

- Ce début de saison est-il si ennuyeux pour que les hommes se prennent soudain d'intérêt pour elle ?

Sophie sursauta, espérant que cette voix ne s'adressait pas à elle. Elle tourna les yeux pour voir Louis en pleine conversation avec trois gentleman. Lentement, elle leva le regard vers l'autre côté où Cressida Cowper se tenait, un verre à la main, fixant Penelope qui avançait dans la salle.

- Votre tenue est très jolie, miss Devereux, commenta-t-elle.

- La vôtre aussi, répondit timidement Sophie, oubliant totalement de remercier la jeune femme du compliment.

Cressida parut amusée et quelque chose se rompit. Comme si la vitre qui se dressait constamment entre Sophie et le reste du monde venait soudainement de s'effriter. C'était étrange, car elle restait stupéfaite devant cette femme qui avait le don de vous mettre mal à l'aise en un regard.

Persuasion | BRIDGERTON T.3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant