Chapitre 11

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Cher ami lecteur, l'être humain a accompli des prouesses extraordinaires afin de rivaliser avec la nature. Construit des navires pour parcourir le monde, des châteaux avoisinant les nuages, et maintenant, de grands ballons pour traverser le ciel. 

Mais peu importe le nombre de prouesses que nos débutantes ont révélées à la reine Charlotte, il semblerait que Sa Majesté n'ait d'yeux que pour une seule. Et bien que d'autres jeunes filles se disputent les restes de miss Francesca, elles feraient bien de se rappeler que plus l'on vole haut, plus dure est la chute.

LA CHRONIQUE MONDAINE DE LADY WHISTLEDOWN, 16 AVRIL 1815


Margaret était d'une humeur exécrable. C'était la faute de sa grossesse. Mais mieux valait blâmer une personne sur qui sa colère pourrait sainement retomber. Elle choisit de s'en prendre à Eloise. Depuis la parution du dernier numéro du Whistledown, Margaret n'avait pas revu Penelope en société. Et pour cause, la chronique avait révélé le sujet brûlant du dernier bal : Colin aidait la jeune femme à trouver un mari ! Quelle sotte elle était de penser que son beau-frère faisait la cours à son amie.

La porte de la demeure Bridgerton s'ouvrit avant même qu'elle ait eu le temps de poser le pied sur la dernière marche. Le majordome devait être en embuscade. Ce n'était pas la première fois qu'elle pensa qu'il était doté de pouvoirs magiques. Peut-être était-ce même la condition pour exercer cette profession.

- Lady Bridgerton s'entretient avec sa fille.

- Laquelle ? demanda Margaret avec un grand sourire.

Comme si on pouvait se contenter de dire « sa fille » et supposer qu'elle allait savoir de qui l'on parlait !

- Miss Francesca.

- Oh ! Ce ne pas celle que je voulais déranger. Faites-lui simplement seulement savoir que je suis venue rendre visite à Eloise lorsqu'elle en aura fini avec Francesca.

Le majordome hocha la tête en murmurant :

- Très bien, madame.

Sur quoi il quitta le hall pour aller vaquer à quelque mystérieuse occupation. Margaret gravit les marches pour se rendre à l'étage, où se trouvait la partie privée de la demeure. En tant que Bridgerton, elle pouvait désormais se déplacer dans cette aile de la maison. Alors qu'elle remontait le couloir, elle entendit une porte s'ouvrir.

- Margaret ! s'écria joyeusement Eloise. Je n'avais pas entendu que tu...

Elle la scruta d'un air intrigué, la tête inclinée de côté, comme elle le faisait toujours lorsqu'elle s'interrogeait.

- Tu as l'air d'être d'une drôle d'humeur.

- J'ai appris que tu étais allée chez Penelope, aujourd'hui, lâcha Margaret sans préambule.

- Où as-tu entendu cela ? s'enquit-elle prudemment.

- Hyacinthe l'a dit à Dorothy.

- Et Dorothy te l'a dit.

- Bien entendu.

- Les rumeurs vont vite, marmonna Eloise.

- Je n'appellerais pas ça une rumeur, répliqua Margaret. Ce n'est pas comme si on avait dit à toute la société que Penelope avait demandé l'aide de Colin pour trouver un époux.

L'humeur de Margaret était passée de mauvaise à épouvantable.

- Quoi qu'il en soit, poursuivit-elle. Je me demandais seulement qu'elle était le but de ta visite.

- Ce ne sont pas tes affaires, répliqua sèchement Eloise en espérant, sans trop y croire, qu'elle n'insisterait pas.

Cependant, elle se dirigea vers l'escalier.

- Pourquoi as-tu rendu visite à Penelope ? demanda Margaret tout en se déplaçant afin de lui bloquer complètement le passage.

- On ne respecte pas la vie privée dans ce monde ?

- Pas dans cette famille.

- N'est-ce pas Mère qui vient de m'appeler ? demanda Eloise en plaquant un sourire sur ses lèvres.

- Je n'ai rien entendu, rétorqua Margaret.

- Je veux que cette conversation cesse immédiatement, déclara Eloise.

- Ce que tu veux, rectifia Margaret, c'est que j'arrête de te demander ce que tu es allée faire chez Penelope Featherington, mais tu sais aussi bien que moi que je n'en ai pas l'intention.

C'est à cet instant que les soupçons de Margaret se transformèrent en certitude. Elle savait à présent, de toutes les fibres de son être, que sa belle-sœur était lady Whistledown. Tout concordait. Elle ne connaissait personne qui soit plus têtue et plus obstinée, ou qui ait la capacité, ou la volonté, d'analyser chaque sous- entendu et chaque rumeur. 

Pire encore, le dernier article, à propos de Penelope, bien trop méchant pour le ton habituel de la chroniqueuse. Lady Whistledown établissait des faits mais par trois fois, ses écrits avaient perturbé Margaret. Elle avait révélé la grossesse de Marina Crane, conduisant la jeune femme à un déshonneur. Elle avait fait part du veuvage de la princesse Eleanor, ce qui avait plongé sa désormais belle-sœur dans un grand désarroi. Et maintenant ceci.

Eloise avait toujours une bonne raison de diriger l'attention. Elle aurait voulu protéger Colin d'un mariage avec une femme enceinte d'un autre homme. Elle voulait éviter que ses rencontres avec un jeune imprimeur ne soit découverte l'année passée en donnant un sujet de conversation plus intéressant. Et pour Penelope, était-ce de la pure vengeance à propos de leur mésentente ?

- Je sais ce que tu trames, lady Whistledown.

- Ce que je...

Et elle éclata de rire.

- Eloise ! tonna-t-elle. Je te parle !

- En effet, dit-elle.

Sans se laisser émouvoir, Margaret la fusilla du regard.

- Que veux-tu... Ma parole, tu es sérieuse.

- J'avais l'air de plaisanter ?

- Non, admit-elle. Sauf au début.

Margaret allait la tuer ! Là, dans la maison de sa belle-mère, elle allait commettre un meurtre.

- Margaret ? fit Eloise d'un ton hésitant, comme si elle venait seulement de remarquer que sa colère s'était transformée en fureur.

- Assieds-toi ! Tout de suite !

Eloise obéit. Immédiatemment.

- Je ne me souviens pas de la dernière fois où je t'ai entendu élever la voix contre moi, murmura-t-elle. Qu'est-ce qui ne va pas ?

- Je sais que tu es lady Whistledown. Inutile de nier.

Eloise bondit sur ses pieds.

- Sauf que c'est faux !

Elle fusilla sa belle-sœur du regard, ses yeux étincelants de colère.

- Je me moque de ce que tu penses, dit-elle d'une voix sourde. Non, ce n'est pas vrai. Je suis furieuse que tu ne me fasses pas confiance.

Elle se leva et marcha jusqu'à Margaret en tendant un doigt accusateur.

- Tu es mon amie et ma sœur ! Tu devrais avoir une foi aveugle en moi. 

- Eloise, dit Margaret dans un soupir.

- N'essaie pas de me présenter des excuses !

 - Je n'y pensais même pas.

- De mieux en mieux ! s'indigna-t-elle.

Elle se dirigea vers les escaliers au pas de charge. Eloise ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais le son qui franchit ses lèvres ressemblait à un Ooooh ! vibrant de rage. Puis elle quitta le couloir telle une tornade. 



Persuasion | BRIDGERTON T.3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant