L'obsession de l'ambition (ATTAL x BARDELLA)

I. Gabriel

27 mars 2022

Le jeune homme brun écrasa les vestiges de sa cigarette dans le cendrier d'extérieur, puis releva machinalement le col de son blouson, se protégeant ainsi du vent qui s'engouffrait par brusques appels d'air sur le parking réservé du siège de la chaine TV nationale. 

La journée avait été grise et fraiche en ce début de printemps 2022, et la légère brise qui s'était levée sur les quais de Seine lorsque Gabriel était arrivé en fin d'après-midi s'était maintenant transformée en bourrasques qui malmenaient sans relâche le petit carré de verdure constituant le "coin fumeur" réservé au personnel et aux invités des émissions. Les quelques arbustes et buissons constituant ce dernier tentaient vainement de ne pas ployer sous les attaques, mais les quelques bourgeons qui avaient timidement fait leur apparition ces derniers jours gisaient déjà aux racines, multitude de petits cadavres qui venaient rejoindre les quelques mégots à moitié moisis dont certains fumeurs peu scrupuleux s'étaient délestés.

Au moins la grisaille disparaitrait elle peut-être avant la fin du débat et le jeune porte-parole du gouvernement pourrait-il envisager une ballade nocturne sur les quais ainsi dégagés avant de regagner son appartement. Même en sachant que l'entrevue prévue ce soir là s'éterniserait sans doute jusqu'à tard dans la soirée, la probabilité qu'il aurait alors besoin de calme, et de rester seul avec ses pensées, était extrême. En réalité, il en avait même déjà envie maintenant.

L'échange promettait en effet d'être redoutable.

Un coup d'œil au bas de son pantalon de costume gris, et il se pencha pour corriger du plat de la main un faux pli, avant de tourner des talons et de s'engouffrer dans le hall d'accueil du bâtiment. Il rattrapa de justesse l'un des ascenseurs arrêté au rez-de-chaussée, et marqua un temps d'une demi-seconde, pour se souvenir du bouton correspondant à l'étage de sa loge.

Le monte-charge débuta sa course, cependant que Gabriel jetait un coup œil aux dizaines de notifications et messages qui avaient eu le temps de poper sur son téléphone pendant les cinq minutes qu'avait duré sa pause. Un unique SMS retint cependant son attention, celui de son partenaire de vie depuis bientôt cinq ans, Stéphane, lui souhaitant bonne chance pour l'émission. Un léger sourire en coin, le jeune homme profita des quelques secondes qui lui restaient encore dans la bulle d'intimité que constituait l'habitacle pour tapoter en retour un rapide "merci mon amour", avant de verrouiller prestement son écran.

Réflexe inutile dans cette situation, mais qu'il avait acquis de son expérience de personnalité politique qui, malgré son coming-out public datant de quelques années déjà, comprenait d'autant plus la valeur que représentait la préservation de sa vie privée, que cette dernière, bien que totalement acceptée par la majorité des personnes, était encore perçue comme nouvelle, étrange voire déviante par une petite partie de l'électorat français.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent directement sur l'effervescence que représentaient les backstages d'un débat politique comme celui qui était sur le point d'avoir lieu. Assistants, maquilleurs, ingénieurs son, journalistes, caméramans, stagiaires : tous s'affairaient, se bousculaient, s'interpelaient, s'ignoraient, dans une multitude de petites interactions qui, du point de vue du jeune homme, avait plutôt l'air d'un seul et même mouvement d'une nuée d'abeilles volant à l'unisson pour ramener leur précieux butin la la ruche et à leur sainte reine.

La métaphore était assez bien choisie, d'autant qu'Anne-Claire Coudray, la journaliste qui allait mener l'imminente entrevue, surplombait tout ce petit monde depuis sa chaise haute, où elle semblait relire consciencieusement ses notes, pendant que quelques dernières petites mains s'affairaient autour d'elle à quelques dernières retouches maquillage et coiffure, et que le régisseur semblait lui faire son dernier briefing.