VIII. Jordan

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Le dimanche midi suivant, aussi ponctuel qu'à son habitude, Jordan frappa trois coups secs à la porte en chêne de la maison de maître du parc de Montretout. Après plusieurs semaines de grisaille, les beaux jours semblaient enfin poindre le bout de leur nez, et l'agréable point de vue sur la tour Eiffel que lui avaient offert les hauteurs de Saint-Cloud sur toute la durée de son trajet, rendait définitivement le jeune homme de bonne humeur.

Un grand sourire encadré de ses fossettes barra donc son visage, lorsque la magnifique porte ornée de vitraux s'ouvrit sur cette femme qu'il ne connaissait que trop bien, son binôme, sa mentor.

« Jordan ! » s'exclama t'elle, son visage s'illuminant à la vue du jeune homme.

Était-elle naturellement plus enjouée du fait de cette journée spéciale qu'était celle tant attendue des élections présidentielles, ou parce qu'elle avait déjà, à midi tout juste passé, un peu trop forcé sur le Martini pour masquer son appréhension des résultats, Jordan n'aurait su le dire avec certitude.

« Bonjour Marine, comment allez-vous ? » se contenta t'il de répondre en franchissant le pas de porte.

          - Toujours borné à me vouvoyer, à ce que je vois.

          - Ça ne changera jamais, Marine, dit-il en enlevant son manteau, le posant sur la rambarde de l'escalier.

          - Même si on gagne aujourd'hui ?

L'un des nombreux chats de la femme se frotta en ronronnant sur la jambe du jeune homme, et celui-ci se baissa pour le caresser.

« Sans vouloir vous manquer de respect, je crains malheureusement que ça n'empire les choses », rétorqua t'il en riant. Puis, parcourant des yeux le hall monumental et la cuisine attenante : « Je suis le premier arrivé ? ».

« Non, tout le monde t'attend déjà. On voulait manger dehors, aujourd'hui, pour fêter cette journée ».

Jordan emboita le pas à son hôte, et déboucha sur la grande véranda qu'il connaissait si bien. De style colonial, ce que Jordan y aimait le plus était la multitude de plantes tropicales, tombantes, grimpantes, venant réchauffer la structure en fer forgé et le sol en damier marbré noir et blanc. Des jours comme celui-ci, le soleil venait  illuminer l'ensemble, le rendant encore plus splendide. Jordan se sentait vraiment chez lui, ici. 

"Comment va votre père, Marine ?" lâcha Jordan, curieux. 

Malgré sa proximité avec la femme politique, le jeune homme avait hésité à poser cette question. La maison appartenait depuis deux générations à la famille, et bien que les réunions de famille du dimanche midi se fassent toujours, les sœurs Le Pen  avaient récemment prit la décision de faire emménager leur géniteur dans un de leurs appartements parisiens, beaucoup plus praticable pour un vieillard, et lui permettant d'avoir accès à toute l'aide médicale dont il pouvait potentiellement avoir besoin. 

"Il se porte bien, mais il arrive de moins en moins à se déplacer. Il ne sera donc pas avec nous aujourd'hui", répondit calmement Marine. "Je crois vraiment que ça a fini de le détruire, que je l'écarte définitivement du parti."

Jordan ne répondit rien. Il avait bien entendu rencontré Jean-Marie Le Pen à plusieurs reprises, puisque le vieillard avait très vite entendu parlé de lui, en raison de son titre de plus jeune secrétaire départemental, à ses débuts à tout juste 19 ans. Mais il avait toujours éprouvé un peu de gêne à être en présence de l'ex homme politique. Sans doute due à un écart générationnel de presque 70ans les séparant. Il se souvenait d'ailleurs avoir failli quitter l'ancien Front National, avant que Marine ne le repère et ne lui fasse confiance pour insuffler un peu de fraicheur dans leur parti. Il était donc finalement assez soulagé que le patriarche ne soit pas de la partie ce dimanche là. 

L'obsession de l'ambition (ATTAL x BARDELLA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant