XII. Jordan

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Jordan était plus que fier de sa capacité à soigner ses sorties. Ce n'était pas la première fois qu'il laissait son rival en plan, mais ç'aurait été mentir que de dire que ça ne l'amusait pas au plus haut point. Et parce qu'au-delà de la provocation, il s'assurait aussi d'entretenir l'obsession de Gabriel pour lui.

Il voulait que Gabriel se rende compte de cette emprise.

Il déroula la fin de sa semaine en se forçant à maintenir le silence radio. Pas un message, pas une entrevue... C'était une pure torture pour lui, et le seul moyen qu'il trouva pour résister fut, chaque soir de cette semaine-là, en rentrant chez lui, de regarder toutes les interventions télévisées du porte-parole, de scruter chaque mouvement de son visage, chaque regard, chaque rictus. Il avait Gabriel dans la peau, même si c'était bien trop compliqué pour lui de l'admettre. A défaut espérait il du moins que c'était le même supplice qui était ressenti du côté du porte-parole. Sinon, Jordan espérait au moins qu'il profiterait de ces quelques jours de répit pour régler son problème avec le macroniste qui lui servait de mari.

Les résultats des législatives tombèrent, et ce fut, comme prévu, la consécration pour Jordan, lui ouvrant ainsi en grand les portes d'accès à la présidence du groupe. Ils passèrent, ce dimanche-là, de 6 à 89 sièges dans l'hémicycle, devenant à cette occasion le premier groupe d'opposition à l'Assemblée Nationale. Tout le monde jubila au siège du RN. Et Jordan jubila encore plus le week-end suivant, lorsqu'il fut officiellement investi, avec plus de 80% des voix, plus jeune président d'un groupe politique d'Europe.

"Toujours borné à me vouvoyer, Jordan ?"

Une question, banale, qui sortit brièvement Jordan de ses fiches. Il esquissa un sourire.

Marine et lui étaient, depuis trois heures déjà, en session de travail au siège du parti. Jordan prenait un peu d'avance sur un discours qu'il devait tenir plus tard dans la semaine, au meeting d'avant trêve d'été organisé à Nice.

"Je vous l'ai dit, Marine, j'en suis tout à fait incapable."

Il croisa le regard de sa mentor. Celle-ci avait arrêté la cigarette depuis seulement quelques mois, mais s'était presque aussitôt rabattue sur la clope électronique, qui était presque comme greffée à sa main, et sur laquelle elle tirait tellement que le nuage de vapeur senteur fruits rouges n'avait jamais réellement l'occasion de se dissiper. C'était peut-être obligatoire, d'avoir une addiction, quand vous aviez autant de responsabilités sur les épaules.

Il ajouta, un sourire narquois aux lèvres :

"Surtout depuis que vous êtes grand-mère"

Elle éclata d'un rire franc et sonore, si propre à sa personne, et qui résonnait toujours dans la pièce d'une manière si particulière qu'on aurait dit que cette dernière avait été privée de tous ses meubles.

          - Pardon, Marine, je m'égare, s'excusa-t-il en avalant une gorgée de sa bouteille d'eau.

          - Tant que tu ne t'égares pas dans ton discours.

Puis, remarquant la nature du liquide qu'il avalait : "Depuis quand est-ce que tu ne carbures plus au Coca, mon cher ?"

          - J'essaie de réduire le sucre.

          - Comme si tu en avais besoin.

Jordan émit un léger sourire en coin. Oui, il en avait besoin. Pour conserver ce corps qui, il le savait, mettait un certain porte-parole dans tous ses états.

          - Mais tout le monde en aurait besoin, Marine. Une vraie merde, le sucre.

          - Oh, bah oui. Très certainement, mon cher, rétorqua t'elle d'une voix ironique. C'est même d'utilité publique. J'espère que tu vas en parler dans ton discours.

L'obsession de l'ambition (ATTAL x BARDELLA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant