II. Gabriel et Jordan

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Gabriel

La berline noire déposa Gabriel devant son appartement du XVIème arrondissement vers 23h. Le jeune homme la suivit du regard, jusqu'à ce qu'elle bifurque et disparaisse au bout de la rue.

Ainsi qu'il avait pu le prédire, le ciel parisien s'était progressivement dégagé de tout nuage, et le froid, bien installé en cette nuit de printemps, semblait laisser des morsures indélébiles sur les mains et le visage découverts de ce dernier.

Gabriel remonta son col de blouson, et se dirigea tranquillement vers les quais de Seine, enfouissant sa tête dans ses épaules, jusqu'à cacher une partie de son visage. Malgré le calme des rues de son quartier, tout particulièrement à cette période de l'année et à cette heure du soir, le jeune homme ne tenait absolument pas à attirer les regards. Il savait particulièrement à quel point il était difficile de se fondre dans le commun de la population, dès lors que l'on franchissait le pas de la surmédiatisation.

Et dans des instants comme celui-ci où l'anxiété de Gabriel refaisait surface, le moindre regard étranger, fusse t'il le plus bienveillant possible, le ramenait à cette idée qu'il n'était plus maintenant qu'une bête de foire, un animal politique duquel on exige tout sans la moindre concession, sans accepter le moindre faux pas. Une sorte d'accord tacite que le jeune homme subissait plus qu'il ne l'avait accepté, comme une sorte de contrepartie inévitable à son ambition et au chemin qu'il avait parcouru depuis ses débuts au parti socialiste.

La place du Trocadéro disparaissait petit à petit derrière lui, alors qu'il dépassait la station de métro Passy et se dirigeait tranquillement vers le pont Bir Hakeim. Il bifurqua alors à sa droite, évitant ainsi les quelques touristes encore présent sur la structure, et qui choisissaient minutieusement leur emplacement pour prendre la traditionnelle photo de la Dame de Fer.

Il prit l'escalier étroit qui, à moitié caché derrière un buisson, le fit déboucher directement sur la Seine, dont l'eau tranquille reflétait les lumières des lampadaires la longeant. Au loin, le bâtiment de la maison de la radio se détachait, masse sombre et imposante.

Tout en continuant sa balade nocturne, Gabriel se remémora les évènements de la soirée. Il se savait techniquement irréprochable, mais l'exercice du débat politique, imprévisible sous tellement d'aspects, le malmenait chaque fois.

De la même manière que ton adversaire est malmené.

Et en effet, le jeune homme essayait de se convaincre en se rappelant que Jordan Bardella, malgré la façade qu'il affichait face caméra, malgré son sourire forcé de gendre idéal, malgré les centaines d'heures de coaching médiatique, subissait encore bien plus ces échanges que lui.

Des tendances affichées sur les réseaux à l'issue du débat, il en ressortait que, malgré le climat politique globalement opposé aux dernières mesures prises par le gouvernement, et sur lequel Bardella surfait, Gabriel arrivait toujours à tirer son épingle du jeu.

L'inégalité de l'expérience en politique des deux hommes, et ce malgré leur faible écart d'âge, était flagrante, et de ce point de vue là, Gabriel était persuadé de mettre encore une immense longueur d'avance à son adversaire. Chaque attaque du vice-président du RN sur la manière du gouvernement de gérer la plupart des crises arrivées ces derniers mois, pouvait ainsi facilement être contrée en lui balançant dans la figure a quel point il est facile de faire de fausses promesses, tant qu'on a pas réellement le pouvoir.

Puis, il passa ses doigts sur son poignet gauche, et une nouvelle vague d'anxiété monta du plus profond de lui lorsqu'il se remémora sa poignée de main avec Jordan Bardella. Un sentiment étrange de déjà vu, pourtant impossible, puisque du plus loin qu'il puisse se souvenir, ce soir avait bel et bien été le première fois qu'il affrontait son adversaire.

L'obsession de l'ambition (ATTAL x BARDELLA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant