XVIII. Jordan

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La nuit était déjà tombée sur la capitale lorsque Jordan sortit du QG du Rassemblement National, quelques jours plus tard. Et le froid de ce mois de novembre attaqua presque aussitôt son visage comme une multitude de petites aiguilles, si bien qu'il releva le col de son imperméable. Il fut tout de même soulagé que Carl le repère tout de suite depuis la place où il s'était stationné, et que les phares de la berline s'actionnent presque immédiatement. 

La chaleur de l'habitacle dans lequel il s'engouffra était vraiment rassurante. C'était assez normal, sachant le nombre d'heures que Jordan pouvait passer par semaine à l'arrière de sa berline, et avait pu passer les mois précédents, lors des campagnes présidentielles et législatives. Et c'était d'autant plus une circonstance heureuse, qu'avec les pluies diluviennes qui étaient tombées cette nuit sur la capitale pour rendre les quais de Seine impraticables, Carl mettrait sans doute le double de la durée ordinaire pour rejoindre les studios de C8. 

Jordan avait donc du temps à perdre. Il plongea la main dans son cartable en cuir pour y attraper ses notes. Il était rentré depuis quelques jours de Strasbourg, mais n'avait pas eu une seconde à lui depuis. Car, pendant que le budget était en cours de débat à l'Assemblée nationale et que tous ses collègues étaient bien trop occupés à travailler sur les amendements, c'était encore à lui, figure de proue du RN, de tenir pendant ce temps l'image du parti sur les plateaux télé. 

Ajouté à son travail de parlementaire, et au travail de gestion incombant à un président de groupe, il était donc évident qu'il devait prioriser certaines apparitions publiques par rapport à d'autres. Et le débat qu'il s'apprêtait à avoir ce soir sur TPMP s'inscrivait parfaitement dans ce contexte : un débat facile et sans beaucoup d'enjeux, qu'il s'était permis toute la journée de reléguer au rang de sous-tâche.

Il fallait tout de même s'assurer que cet excès de confiance ne se transforme pas en erreur stratégique. Car il pouvait autant qu'il voulait éviter d'y penser, ce soir il débattait en face de Gabriel Attal. 

3 débats. Ils avaient déjà eut trois débats ensemble. Jordan ne pouvait par ailleurs s'empêcher de mettre ces échanges en parallèle de ce qu'il se passait en privé avec Gabriel. C'était assez étrange, mais chacune de ces interventions paraissait comme un point de passage supplémentaire dans l'évolution de leur relation : la naissance de l'obsession, la première fois qu'ils se sont embrassé, la première fois qu'ils ont baisé ensemble... Ce débat sur TPMP avait donc beau sembler caduque par rapport à tous ceux des précédentes campagnes, quelle étape franchie supplémentaire représentait il en réalité ? 

Accoudé au rebord de la fenêtre, son regard alternait entre le paysage de Paris sous la grisaille, et ses notes. Il n'arrivait pas à se concentrer, et le feuillet qu'il tenait dans sa main paraissait presque menaçant, comme si les sujets à aborder gribouillés à la main avaient été une montagne infranchissable, un amas d'informations impossibles à assimiler. 

L'avantage considérable qu'il avait par rapport à ce qu'il avait pu voir ces derniers jours de Gabriel, et ça il en était persuadé, c'est que la petite montée de stress qui se provoqua à l'instant en lui, il arriva instantanément à la contrôler. Il n'y avait aucune raison de psychoter : ses sujets, il les connaissait. Et même : TPMP était une émission pour la masse. Il pouvait donc, au pire, laisser son argumentaire de côté pour se concentrer sur la forme. 

Il se contenta donc de soupirer, de mettre ses notes sur le côté, et son regard se porta finalement sur son téléphone. 

Le budget était débattu à l'Assemblée depuis 7 semaines déjà, et chaque fois que Jordan déroulait son fil d'actualité ces derniers jours, c'était pour lever les yeux au ciel. Certes, il reconnaissait parfois, dans ce budget de lois de finances catastrophique, la patte un peu sociale de Gabriel : quelques mesures par-ci par là pour augmenter le salaire des professeurs et des aides aux personnes souffrant de handicap... Mais ce qui agaçait le plus Jordan était l'hypocrisie constante du camp Renaissance, à faire de beaux discours demandant aux Français de toujours plus se serrer la ceinture, leur demandant de rogner tout l'hiver sur les consommation de chauffage et d'électricité pour éviter que la mesure de plafonnement des couts de l'énergie ne coûte trop cher à l'Etat...tout en refusant systématiquement de taxer les superprofits.

L'obsession de l'ambition (ATTAL x BARDELLA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant