III. Gabriel

134 7 0
                                    


Le réveil du lendemain fut difficile. Après que son téléphone ait tenté de faire émerger Gabriel à 5 reprises, ce fut finalement le grognement de protestation de Stéphane qui poussa le jeune homme à mettre difficilement un pied hors du lit.

Il embrassa son compagnon sur la joue, avant d'enfiler un t-shirt et de se diriger vers la cuisine. Le bruit de la machine à café broyant les grains fut tel un burin martelé dans son cerveau, cependant qu'il se dirigeait vers le robinet pour boire cul-sec son premier verre d'eau de la journée. Ce geste eu au moins pour effet de calmer sa migraine matinale, et tandis que le café serré qu'il avait programmé commençait à couler, il se dirigea vers son petit balcon parisien, et ouvrit la porte-fenêtre.

L'air froid du matin s'engouffra dans son salon, faisant frissonner Gabriel. Putain, quelle plaie d'être un fumeur, sérieux. Mais malgré les 5 degrés qu'affichait le thermomètre, le jeune homme ne pu résister à l'appel de la nicotine.

Le bout de sa cigarette rougeoya et grésilla tandis qu'il tira dessus, contemplant tranquillement les immeubles d'en face, encore endormis, qui se détachaient en masses imposantes dans l'aube du matin. Gabriel baissa les yeux sur son téléphone : 5 heures 30 du matin.

Malgré le manque de sommeil flagrant, il était encore dans les temps. Mais il ne pu cependant s'empêcher de se dire que tôt ou tard, ce rythme de vie aurait raison de lui. Depuis quelques temps maintenant, il esquivait les miroirs, qui lui rappelaient trop bien qu'en 5 ans de gouvernance, de grandes cernes violettes avaient élu domicile sous ses yeux, et que son visage n'avait cessé de se creuser. S'il continuait dans cette voie, le jeune homme de 33 ans en paraîtrait 45 avant la fin du mandat d'Emmanuel Macron.

Il rejeta encore dans l'air frais quelques bouffées de sa cigarette, sentant le venin de cette dernière se faire doucement un chemin dans ses veines. Puis, il écrasa rapidement les vestiges consumés dans le petit cendrier coloré, et récupéra son café.

Alors qu'il émergeait progressivement, Gabriel passa en revue son emploi du temps de la journée. Chargé, comme à son ordinaire. Entre conseil des ministres, réunions... il se cala tout de même deux petites heures en fin d'après-midi pour la rédaction de son compte rendu quotidien, l'une des tâches incombant à sa fonction.

Il n'oubliait pas également que dans la soirée, un repas d'affaires avec ses collègues de l'assemblée était prévu au Bristol, suivi d'un afterwork en petit comité au Matignon.

D'une petite voix faiblarde, sa conscience tenta de se rappeler à lui, soulevant à quel point ces nombreux évènements, galas, fêtes, restaurants dans les lieux les plus chics de la ville étaient indécents et feraient mieux de cesser. Mais ce moment fugace fut vite étouffée par son ambition, mordante, dévorante, incontrôlable, qui de ses grands sabots martelait dans la tête de Gabriel a quel point il avait mérité tout cela, et à quel point il pouvait viser encore plus haut.

Le paysage politique était bourré de vautours, de hyènes, de lions ambitieux, se battant toutes griffes dehors pour tenter de grapiller, de s'emparer puis de conserver le plus possible - douce utopie - les quelques miettes d'un pouvoir déjà bien consommé en 60 ans de Vème République. Et bien que Gabriel n'ait pas l'inélégance de s'auto-attribuer quelconque espèce du règne animal - même s'il l'espérait au moins forte et ambitieuse -, il n'était tout de même pas rare que, en croisant un collègue ou une personne nouvelle dans son cercle de connaissances, il ne se prête au jeu des comparaisons.

Mais plus particulièrement ce matin, c'est l'image d'un seul homme qui lui revint en tête : Jordan Bardella.

Gabriel ne pouvait en effet le nier : leur premier débat avait déjà suffit à le déstabiliser, sans parler de leur entrevue d'hier soir, qui avait laissé entrapercevoir la possibilité que derrière son adversaire, redoutable, tout aussi ambitieux que lui, mystérieux, pouvait peut-être se cacher un homme. Pas cependant le commun des mortels, car Gabriel se remémora avec quelle agilité le vice-président du RN avait dissimulé la lueur d'humanité que le jeune homme avait cru déceler lorsqu'ils avaient manqué de se percuter. Egalement, les sourires en coin, naturels ou calculés, qui lui donnait cette insoutenable sensation que le colosse jouait avec lui, s'amusait de la situation. La manière féline avec laquelle il était retourné dans sa berline, laissant Gabriel en plan sur le trottoir.

L'obsession de l'ambition (ATTAL x BARDELLA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant