XVI. Partie 1 : Jordan

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Jordan avait la curieuse impression de se faire avoir. Non pas que ça le dérangeait de se réconcilier sur l'oreiller, encore moins quand la personne avec qui il devait se réconcilier était Gabriel Attal... Mais il se considérait dans son bon droit d'exiger que lorsqu'il demandait des comptes au jeune ministre, quand il lui demandait de se remettre en question, son homologue lui fournisse verbalement les garanties que, l'autre soir, dans ce bar, ça n'avait pas servi à rien que Jordan mette l'un de ses plus grands principes de côté dans le seul but de le retenir.

Car il faisait de la politique, et il savait qu'en politique, le masque ne devait jamais tomber.

Avec Gabriel, cependant, il avait flirté pendant des semaines avec cette possibilité. Et même si chaque fois, jusqu'ici, il avait réussi à évoluer à l'équilibre sur le fil, à contrôler cet espèce de comportement autodestructeur tout en réussissant chaque fois à sortir victorieux de leurs échanges en laissant Gabriel un peu plus encore dans le doute, il avait commis une erreur.

Celle de sous-estimer son regard.

Il ne se pensait pas si cœur d'artichaut que ça, mais ces yeux démunis, emplis de détresse à chaque fois qu'ils se posaient sur lui, avaient en réalité sournoisement fait leur bout de chemin dans le cerveau de Jordan, rongeant son être tout entier.

Car il s'agissait surtout de la manière dont ils se posaient sur lui. Comme s'ils attendaient quelque chose de lui. Comme s'ils attendaient que Jordan soit le rédempteur de Gabriel, alors que c'était lui l'origine de sa perte.

Et Jordan aurait aimé être ce sauveur. C'était une position qui ne pouvait que flatter son ego, et qu'il savait que, dans le binôme qu'il formait avec le jeune ministre, il aurait adoré. Mais quelque chose d'autre lui revenait chaque fois en tête : qu'il fallait vraiment que Gabriel soit déglingué pour demander à son propre bourreau de le sauver.

Gabriel aurait pu simplement être atteint d'une sorte de syndrome de Stockholm. Mais cela aurait impliqué qu'il lui soit totalement et inconditionnellement dévoué à Jordan, qu'il ait tout de suite mis de côté Stéphane. Et si cette théorie était largement avérée chaque fois qu'ils baisaient ensemble, pour le plus grand plaisir de Jordan, c'était loin d'être le cas une fois que Gabriel lâchait son regard et qu'il retournait à la vie réelle. Le doute revenait alors à nouveau l'habiter à mesure que sa raison reprenait le contrôle, pour tenter de colmater du mieux qu'il pouvait sa relation déjà presque coulée.

Non, Gabriel cachait quelque chose. Un secret, quelque chose de lourd qui semblait avoir forgé ce qu'il était. Et dans toute l'obsession que Jordan avait pour lui, dans toute l'obsession qu'il entretenait encore sur le fait de vouloir l'emporter sur lui un jour, il était obligatoire que le président du RN sache.

De plus, alors que, toujours allongé dans le lit de Gabriel - accessoirement plutôt le lit de Gabriel et Stéphane - il contemplait avec intérêt le visage d'ange complètement détendu, les yeux clos, dont les boucles brunes dissimulaient le front, la rancœur venait s'ajouter à tout ça.

Celle qui l'avait au départ poussé à s'intéresser au jeune ministre, celle qu'il aurait aimé pouvoir calmer au fil de leurs échanges. Celle qui aurait dû se taire si seulement Gabriel avait eu le même souvenir que lui de leur première rencontre.

Bordel, si seulement...

Mais plus il y pensait, plus il se figurait simplement que les années changeaient les hommes, et que là où le jeune Jordan proche de ses émotions n'avait pas encore tout à fait embrassé la froideur de la politique à l'époque, Gabriel était déjà à ce moment-là totalement dévoré par elle.

"T'es flippant, Jordan..."

Jordan cligna des yeux. Pourtant, les yeux de Gabriel en face de de lui restaient clos, seule sa bouche s'était mue pour articuler ces quelques mots. Le jeune ministre continua :

L'obsession de l'ambition (ATTAL x BARDELLA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant