| S H O N A
— I know you
Le lendemain, je me réveille avec un mal de tête lancinant, les souvenirs de la soirée précédente flous, comme s’ils étaient enfouis sous un épais brouillard. Mes paupières sont lourdes, chaque mouvement me semble une épreuve. Pourtant, je ne peux pas rester ici, engluée dans mon lit, à fuir le monde. Il faut que je me rende au lycée, même si l’idée de croiser des regards, de replonger dans la routine, m’oppresse.
En sortant de chez moi, je remarque à peine les rues que j’emprunte chaque jour. Le froid matinal mord ma peau, mais je ne ressens rien, engourdie par la fatigue qui me pèse comme une chape de plomb. Mes pensées vagabondent, se perdent dans des méandres incompréhensibles, et j’ai du mal à me concentrer sur quoi que ce soit. Je suis comme un automate, avançant sans véritablement savoir où je vais.
Quand j’arrive enfin au lycée, la cacophonie habituelle des couloirs me semble plus forte qu’à l’accoutumée. Chaque rire, chaque voix me vrille les oreilles. Je me sens comme un animal acculé, prêt à mordre à la moindre provocation. Pourtant, je tente de me fondre dans la masse, de me faire la plus discrète possible. Je n’ai aucune envie de parler, encore moins de me confronter à qui que ce soit.
Mais rien ne se passe jamais comme prévu.
En passant devant mon casier, je tombe sur Aaron. Son visage est fermé, ses yeux braqués sur moi avec une lueur de reproche. Je soupire intérieurement, déjà fatiguée à l’idée de cette confrontation.
— « Shona, pourquoi tu m’as ignoré avant hier ? Tu as vu mon message, non ? »
Sa voix est tendue, remplie de reproche. En temps normal, j’aurais peut-être tenté de m’expliquer, d’apaiser les choses, mais aujourd’hui, la colère bouillonne en moi, incontrôlable.
— « Aaron, tu n’es pas le centre du monde, d’accord ? » criai-je, ma voix résonnant dans le couloir.
— « J’ai autre chose à faire que de répondre à tes messages ! »Mon ton tranchant le fait reculer, ses yeux s’écarquillent un instant avant qu’il ne fronce les sourcils, blessé et en colère. Mais il ne réplique pas. Pas un mot. Il me regarde, déçu, puis tourne les talons et s’éloigne sans un mot de plus. Une part de moi se sent coupable, mais une autre, plus forte, est soulagée qu’il soit parti.
Je reste plantée là quelques secondes, le souffle court. Je dois me ressaisir. Cette journée ne fait que commencer, et je ne peux pas continuer sur ce chemin. Mais je suis tellement à bout. Je ferme les yeux un instant, cherchant à calmer la tempête en moi. En vain.
Je finis par me diriger vers un endroit où je sais que je pourrais me poser un instant, loin des regards et des murmures. La réserve, ce petit coin caché du lycée où certains élèves viennent sécher les cours ou simplement échapper aux profs. C’est l’endroit parfait pour souffler un peu.
En entrant dans la réserve, je suis immédiatement enveloppée par l’odeur de vieux papiers et de poussière. L’endroit est faiblement éclairé, les rayons du soleil peinent à traverser les stores poussiéreux. Je laisse échapper un long soupir en m’adossant contre l’une des étagères, essayant de reprendre mes esprits.
À peine ai-je commencé à me détendre qu’une présence se fait sentir. Je relève la tête et le vois.
Le mystérieux garçon de l’autre jour, celui qui hante mes pensées depuis. Il est là, debout dans l’ombre, ses yeux perçants rivés sur moi. Mon cœur rate un battement, une vague de surprise me submerge. Il n’a pas bougé, et pourtant, il semble plus proche que jamais.
Il s’avance lentement, ses pas résonnant faiblement dans la petite pièce. Son regard ne me quitte pas, et je sens une tension étrange s’installer entre nous, palpable, presque oppressante. Mon esprit est encore embrumé par la fatigue et les émotions contradictoires.
Il s’arrête juste en face de moi, son visage à peine éclairé par la lumière tamisée. Nous restons là, à nous observer en silence, comme si nous étions les seuls êtres vivants dans ce lieu hors du temps. Puis, enfin, il brise le silence.
— « Caïn » dit-il d’une voix grave, presque murmurée.
Je ne réponds pas immédiatement, surprise qu’il se soit enfin présenté. Caïn... Ce nom résonne en moi, s’inscrivant profondément dans mes pensées. Je déglutis, cherchant mes mots, mais ils me semblent futiles face à l’intensité de ce moment.
— « Shona, mais je pense que tu le sais déjà » dis-je enfin.
Il esquisse un sourire léger, comme s’il approuvait. Puis, sans ajouter un mot, il s’assoit sur l’une des vieilles chaises bancales de la réserve, m’indiquant d’un geste de faire de même. Je m’installe en face de lui, un peu nerveuse, ne sachant pas où tout cela va nous mener.
— « Pourquoi es-tu ici ? » me demande-t-il soudain, ses yeux fixés sur moi.
Je reste muette un instant. Pourquoi suis-je ici, vraiment ? Pour fuir, pour me cacher, pour échapper à cette journée infernale ? Je baisse les yeux.
— « J’avais besoin d’un endroit pour respirer » avoué-je enfin.
Un silence s’installe à nouveau, mais cette fois, il est moins oppressant. Il semble comprendre, ou du moins, il ne me juge pas. C’est étrange, mais en sa présence, je me sens un peu moins seule, un peu moins perdue.
Puis, avec une assurance troublante, il me regarde droit dans les yeux et murmure :
— « Tu sais, Shona… Je te connais déjà très bien. »
Ces mots résonnent en moi comme une onde de choc. Mon esprit, encore embrumé, peine à saisir la portée de cette déclaration. Comment est-ce possible ? Et surtout, qu’est-ce que cela signifie ? La pièce semble se refermer sur nous, l’air devient plus dense, chaque seconde plus lourde que la précédente. Caïn reste là, imperturbable, son regard ancré au mien, tandis que je me noie dans un océan de questions sans réponses.
Un lien invisible semble se tisser entre nous, un lien qui m’effraie autant qu’il me fascine.