Écarlate - Kidofudo

Chapitre 8.5 - Réminiscence : mascarade

Aussi loin qu'il se souvienne, Jude a toujours été haï par ses parents. Au début, il ne comprenait pas pourquoi. Il était trop jeune pour saisir la raison d'une haine si pure, si virulente venant des personnes qui auraient dû le couvrir d'amour.

Et puis, un jour d'école à la maternelle, il a compris. Ce jour-là, il a enlevé ses lunettes. Ces lunettes, ses parents le forçaient à les porter, mais ils les avaient trop serrées, alors elles lui faisaient mal. Les autres enfants l'ont regardé, l'ont pointé du doigt, et se sont exclamés :

- Regarder ses yeux, y sont tout rouge !

- On dirait ceux d'un vampire !

- Ça fait peur !

Depuis, Jude n'a plus jamais retiré ses lunettes devant autrui, même ses parents. Ses parents, qui malgré tout continuent aujourd'hui encore de le regarder avec dégoût, comme une tâche dans leur vie parfaite.

"Ne t'approche pas de ton frère, Célia, il pourrait te pousser au vice."

La famille Sharp est l'une des plus croyantes d'Inazuma. Auparavant, les fidèles religieux pensaient que les personnes naissant avec les yeux rouges, bien qu'il s'agisse d'un phénomène tout à fait banal et absolument pas rare, étaient des serviteurs du diable envoyés sur Terre pour corrompre les gens honnêtes. De nos jours, cette croyance arriérée s'est bien atténuée jusqu'à presque disparaître. Toutefois, comme il existe toujours des personnes qui maltraitent les chats noirs, certains, y compris les parents de Jude, continuent de rejeter ceux naissants avec des yeux rouges.

Jude était seul, seul avec la conviction qu'il ne valait rien, parce qu'on le lui avait répété depuis sa plus tendre enfance. Jusqu'à ce qu'un jour, quelqu'un lui tende enfin la main.

- Laisse, David, peut-être qu'il reste à l'écart par choix !

- Et comment tu peux en être sûr ? Enfin, Joe, on peut pas le laisser tout seul !

A cette époque, on l'appelait encore par son deadname. C'est à Jude qu'elle avouera plus tard, pour la première fois de sa vie, qu'elle déteste ce corps dans lequel elle est née. Et pourtant, ça ne l'a pas empêchée, à ce moment-là, d'être la première lueur de bonheur dans la vie de Jude.

Cependant, même Dahlia n'a jamais réussi à effacer des années de négligence et de mépris. Arrivé au lycée, Jude a malencontreusement laissé un groupe mal intentionné voir la véritable apparence de ses yeux. Voyant bien qu'il s'agissait d'un sujet sensible, ils en ont profité pour se moquer de lui à la moindre occasion, et se servir de lui lorsqu'ils avaient la flemme de faire leurs propres devoirs (ce qui arrivait bien trop souvent).

Jude s'est laissé faire. Jude se laisse toujours faire. Parce que, malgré toute la bienveillance dont Dahlia et Joe, puis, plus tard, à sa manière, Caleb, font preuve à son égard, il n'arrive toujours pas à se convaincre que son existence possède une quelconque valeur. Pas après avoir entendu le contraire pendant si longtemps.

Ces lunettes qu'il porte chaque jour, Jude les hait de tout son être. Pourtant, à chaque fois qu'il les enlève, on lui rappelle d'à quel point il est monstrueux aux yeux des autres. Il a essayé les lentilles, mais elles lui font trop mal pour qu'il puisse voir quoi que ce soit avec. Au final, tout ce qu'il lui reste, c'est l'espoir infime qu'un jour, quelqu'un l'acceptera malgré son apparence.

Et il semblerait que ce jour ne soit pas près d'arriver. Car même Caleb Stonewall, en qui Jude pensait enfin avoir confiance, a fui en découvrant son regard écarlate.

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Il a suffi d'une fois pour que tout parte à la dérive.

Après des années à serrer les dents sans rien dire, il a suffi qu'il craque une fois pour que tout s'écroule.

Le père de Caleb travaillait dans une entreprise avec un patron tyrannique qui le poussait un peu plus au burn out chaque jour. Et, malgré tout, chaque jour, son père rentrait à la maison avec un grand sourire et d'immenses cernes sous les yeux, assurant à sa femme et son fils qu'il avait simplement besoin de se reposer.

- Maman, pourquoi papa il part toujours dans la chambre quand il rentre ? Moi j'aimerais bien passer du temps avec lui !

Sa mère lui donnait toujours la même réponse.

- Ton père travaille dur pour nous offrir une vie confortable, mon chéri. S'il a besoin de repos, on ne peut pas le lui refuser.

Et Caleb se contentait à chaque fois d'acquiescer, tout en espérant qu'un jour son père rentrerait avec assez d'énergie pour jouer avec lui.

Ce jour n'est jamais venu.

Caleb a grandi avec un père absent et une mère qui essayait de combler ce vide du mieux qu'elle pouvait. Cette situation a duré jusqu'au lycée, où tout a basculé du jour au lendemain, sans prévenir.

Ce jour-là, le père de Caleb est rentré du travail bourré après avoir été invité à un bar par un de ses collègues. Et là, sous l'influence de l'alcool, il a tout extériorisé d'un seul coup. La frustration de passer ses journées au bureau, de ne jamais voir sa famille, tout est ressorti en un seul ouragan dévastateur.

Le problème, c'est que son père a déversé sa colère sur la pire personne possible. Sa femme.

Caleb revoit ce moment chaque fois qu'il ferme les yeux. Lui, qui rentre tard chez lui après avoir passé la soirée chez Elliot. Sa mère, étendue au sol, un mince filet de sang s'écoulant de l'arrière de sa tête.

Son père, le vase du couloir à la main, le fixant de son regard écarlate vide de toute émotion.

Alertée par les voisins, la police est arrivée juste après. Le père de Caleb a été placé en garde à vue, puis en prison en attendant son procès. Sa mère a passé quelques jours aux urgences, avant d'être transférée en psychiatrie. Ses blessures physiques, plutôt superficielles, n'ont pas pris longtemps à guérir. Le traumatisme d'avoir été frappée par son propre mari, en revanche, n'était pas prêt de la quitter.

Caleb lui, a été envoyé dans l'orphelinat que tient le père d'un de ses meilleurs amis. Il a passé de nombreux jours enfermés dans la chambre qu'il partage avec Jordan allongé sur son lit, à fixer le plafond, la scène fatidique se rejouant encore et encore dans son esprit. Puis, au bout d'un moment, il en a eu marre de rester là à rien faire, alors il a demandé à Lina s'il pouvait retourner au lycée. A partir de ce moment, il a enfoui ses souvenirs aussi profondément que possible, les cachant derrière une couche de sarcasme et d'indifférence.

Mais l'artifice ne pouvait durer éternellement. Car, ce jour-là, quelque chose en lui s'est brisé à jamais. Il a réalisé que des années d'efforts pour garder le contrôle peuvent s'écrouler en un instant. Que même l'amour ne fait pas le poids contre la colère. Il a suffi d'une fois pour qu'il force son cœur à se refermer, se persuadant que ça le protégerait.

Evidemment, ça n'a servi à rien. A partir du moment où il a laissé Jude Sharp débarquer dans sa vie, toutes ses tentatives étaient vouées à l'échec. 

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J'étais censé publier ce chapitre hier, puis j'ai oublié. Oups.

En vrai je commence à en avoir marre que la publication de cette fic traîne alors que je l'ai finie depuis 2-3 semaines. Du coup, tant pis pour le suspense, je vais sûrement accélérer le rythme histoire d'en finir. De base j'avais peur de le faire parce que je me disais que si je publiais trop rapidement certains lâcheraient parce qu'ils arriveraient pas à suivre la cadence, mais au bout d'un moment tant pis, c'est pas mon problème.