𝐔𝐧𝐞 𝐣𝐮𝐬𝐭𝐢𝐜𝐞 𝐫𝐞𝐧𝐝𝐮𝐞 || ʲᵃᵉʰᵃᵉʳᵃ ˣ ᵃᵉᵍᵒⁿ ° ʲᵃᵉʰᵃᵉʳʸˢ ˣ ᵛⁱˢᵉʳʸˢ

Chapitre 2 : Un roi sans couronne

Le jeune roi observait seul le Barral du jardin royal, plus communément appelé l'arbre-cœur. Avec ses feuilles rouges, il trônait au milieu de tout, comme si c'était lui qui régnait, et non le monarque qui le contemplait.

Il a dû voir tant de choses, pensa l'argenté avant de se retourner vers un bruit léger, presque imperceptible ; Des bruits de pas lents et mesurés.

Elle était là.

Jaehaera Targaryen avançait dans le jardin comme un spectre, le regard froid et impénétrable. Sa robe, d'un vert emeraude, glissait sur l'herbe comme un linceul. Il y avait quelque chose d'inaccessible chez elle, une distance que même Aegon, pourtant son époux, n'avait jamais réussi à franchir.

Leur union n'avait jamais été que politique, un mariage jamais consommé.

Les nobles du royaume ne manquaient pas de le rappeler, murmurant à voix basse des surnoms disgracieux pour cette reine sans rôle :

"La fausse reine."

" La frigide "

Ou encore...

"La reine immaculée."

Le dernier pouvait sembler élogieux, mais appliqué à une reine, il portait un venin subtil. Il insinuait qu'elle n'accomplissait pas ses devoirs conjugaux, qu'elle était intacte dans tous les sens du terme.

Jaehaera était, à elle seule, un sujet de ragots. Les nobles s'en délectaient et aimaient rappeler à tous que la reine n'était rien pour le roi. Mais ils ne savaient rien des tourments qu'ils partageaient.

- Vous voilà... fit le roi d'une voix presque inaudible en s'avançant vers la Targaryen.

Sa voix se perdit dans le vent froid, mais Jaehaera entendit chaque syllabe. De marbre, elle ne bougea pas d'un pouce, se contentant de fixer Aegon de ses yeux lilas, aussi froids et distants que l'hiver. Ses traits semblaient figés, comme sculptés dans la glace, dépourvus de toute chaleur.

L'atmosphère était glaciale, et l'argenté le sentit, cela lui glaçait les entrailles. Elle était là, devant lui, mais elle semblait plus loin que jamais. Aussi expressive qu'une statue de pierre.

- Je voulais vous voir, reprit-il en s'arrêtant enfin à quelques pas d'elle, cherchant ses mots.

Elle inclina légèrement la tête, mais ne répondit pas tout de suite. Un silence pesant s'installa entre eux, un gouffre impossible à combler.

- Fort bien, finit-elle par dire. Je suis ici.

Il détourna un instant le regard, ses yeux se posant à nouveau sur l'arbre-cœur derrière elle. Le vent faisait frissonner les branches, et Aegon se sentit plus vulnérable que jamais.

- Je viens d'avoir la confirmation... Mon frère Viserys est vivant... murmura-t-il, un sourire rare et inattendu se dessinant sur ses lèvres. Ce sourire fit aussitôt grimacer Jaehaera.

Depuis quand sourit-il ? pensa-t-elle, troublée. Il ne parle jamais, il ne montre jamais rien. Et maintenant, il sourit. Me parle. Suis-je tombée sur la tête ?

- Sa rançon était onérause, mais fort heureusement il semble être en bonne santé.

- Une heureuse nouvelle, répondit-elle d'une voix froide, presque mécanique.

Aegon hocha la tête, sans vraiment s'en étonner. Il savait que rien ne percerait cette carapace qu'elle avait construite autour d'elle. Comment lui en vouloir ? Lui aussi s'était barricadé dans un silence pesant, dans l'obscurité de ses appartements, loin des regards. Il l'avait laissée seule.

Ils avaient tous deux survécu à des tourments similaires. Leurs âmes étaient marquées par des cicatrices invisibles, des blessures que seuls ceux qui les portaient pouvaient comprendre. Ils étaient censés se comprendre mieux que quiconque. Et pourtant...

Il l'avait abandonnée, tel un agneau sans défense face à des renards affûtés, ne cherchant qu'une seule chose : lui enlever son pouvoir.

Soudainement, sans prévenir, Jaehaera fit un pas en avant, brisant l'immobilité. Elle s'arrêta à quelques centimètres du visage d'Aegon. Son souffle était froid, et il pouvait presque sentir la glace dans ses paroles lorsqu'elle murmura :

- L'heure du Loup* est du passé, Aegon.

(L'heure du Loup* : moment où Gregan Stark régnait en tant que Main du Roi, exécutant tous les traîtres de la couronne.)

Le roi cligna des yeux, surpris par sa proximité soudaine.

- Vous avez 16 ans, continua-t-elle, d'une voix tranchante. Mon oncle Aemond Targaryen régnait comme régent à cet âge. Vous êtes apte à régner. Quand allez-vous reprendre votre trône ? La couronne et le trône vous appartiennent, c'est votre devoir. À moins que vous soyez trop occupé à vous terrer dans vos appartements, et que vous préférez que d'autres règnent à votre place ?

Aegon la fixa, le souffle coupé. Reprendre mon trône ? Cette pensée résonna dans son esprit. Il ne s'attendait pas à cela. Jaehaera Targaryen, d'ordinaire si silencieuse, venait de briser leur mutisme.

Et pourtant...

- Avez-vous au moins choisi vous-même votre Main ? ajouta-t-elle d'un ton moqueur, un rire amer se glissant entre ses lèvres.

Aegon ne répondit pas, se contentant de reculer, détaillant la reine du regard.

Ils savaient tous deux que la régence était abusive, mais Aegon n'avait aucun allié. Même s'il désirait renvoyer le conseil, les seigneurs ne se gêneraient pas pour lui rire au nez.

Voyant qu'elle avait peut-être été trop brutale, elle se redressa pour adopter sa posture habituelle, froide et mesurée.

- Je suis ravie que votre frère Viserys rentre. Il sera, je l'espère, un grand allié, conclut-elle faisant mine de s'éloigner passant à côté du roi brisé.

Aegon ne la laissa pas partir. Dans un geste inattendu, il saisit son bras. Le contact était léger, presque hésitant, mais il figea Jaehaera sur place.

Aegon refusait qu'on le touche.

Et il venait d'établir un contact physique avec elle ?

- J'ai bien conscience de ce que tu dis murmura-t-il, sa voix plus ferme qu'auparavant. Je suis seul, je n'ai personne pour soutenir mes décisions au conseil. À part peut-être le maître des navires, Alyn... Mais une voix ne suffira pas.

Elle tourna lentement la tête vers lui, les yeux brûlant d'un éclat qu'il ne lui avait jamais vu.

- Vous êtes le roi, insista-t-elle. Seule la voix du roi compte.

À suivre...