𝐔𝐧𝐞 𝐣𝐮𝐬𝐭𝐢𝐜𝐞 𝐫𝐞𝐧𝐝𝐮𝐞 || ʲᵃᵉʰᵃᵉʳᵃ ˣ ᵃᵉᵍᵒⁿ ° ʲᵃᵉʰᵃᵉʳʸˢ ˣ ᵛⁱˢᵉʳʸˢ

Chapitre 6 : Petite souris

Seul, assis sur l'un des sièges imposants de la table royale, Jaehaerys observait en silence la scène qui se déroulait devant lui. Les seigneurs et dames de la cour s'étaient peu à peu levés de leurs places pour rejoindre la piste de danse, où le couple royal s'abandonnait aux festivités. La musique résonnait dans la grande salle, entraînant les convives dans une valse envoûtante.

Viserys n'était pas en reste. Il avait déjà trouvé une partenaire en la personne de Daenaera Velaryon.

Celle-ci, toute souriante, se mouvait avec grâce à ses côtés, comme si elle était née pour ce genre de soirées. Ils valsaient ensemble, son rire léger se mêlant aux autres bruits festifs de la salle. Elle était dans son élément, semblable à un poisson dans l'eau.

Tout autour, les invités s'amusaient, buvaient et se laissaient emporter par l'euphorie du moment.

La soirée s'annonçait parfaite, sans la moindre ombre au tableau.

Pourtant, ce n'était pas la bonne humeur ambiante qui captivait l'attention de Jaehaerys, mais bien le couple royal.

Froid et impénétrable, il détaillait sa sœur Jaehaera et le roi Aegon du regard.

Jaehaera semblait maîtriser à la perfection les arts de la danse, ses mouvements fluides et gracieux.

Mais cela suffirait-il ? Aegon n'était pas homme à apprécier les démonstrations d'affection ou les gestes tactiles. Qu'il permette à sa reine de danser ainsi avec lui était déjà un signe révélateur : il devait l'apprécier, même si cela n'était qu'en surface.

Alors que Jaehaerys savourait le rare plaisir d'être seul, à l'écart des intrigues politiques et des conversations feutrées de la cour, il remarqua un homme s'approcher de lui. L'intrus se plaça juste en face de la table, un large sourire narquois étirant ses lèvres.

C'était la Main du Roi.

Un homme dont la simple vue faisait monter en lui une vague de mépris. Il n'y avait pas pire individu à ses yeux.

Personne ne l'avait nommer Main, et pourtant, et ceux depuis le début du règne d'Aegon III, il arborait fièrement sa broche dorée.

Jaehaerys ressentit une profonde révulsion à la vue de l'homme qui s'approchait. Pourtant, avec une maîtrise impeccable de ses émotions, il se redressa lentement de sa chaise et lui adressa un bref sourire de salutation, glacial et distant.

Bien que personne ne l'ait officiellement nommé à ce poste, à part lui-même, Marston Waters conservait toujours le titre de Main du Roi, une position qu'il utilisait avec une arrogance insupportable.

- Ser Marston Waters, dit Jaehaerys d'une voix neutre, son regard pourtant dur.

Waters, tel un serpent insidieux, se rapprocha encore davantage, réduisant lentement la distance qui les séparait. Ses pas étaient mesurés, calculés, et lorsqu'il atteignit la table, il y posa ses mains avec une familiarité déconcertante, comme s'il en était le maître incontesté.

- Vous ne semblez pas vous amuser, mon prince, souffla-t-il, son sourire emprunt de vanité et d'une fierté démesurée.

Jaehaerys haussa simplement les épaules en réponse, levant sa coupe de vin dans un geste désinvolte.

- L'amusement, répondit-il froidement, est une notion subjective. Certains préfèrent participer, d'autres se contente d'observer.

Il porta la coupe à ses lèvres, buvant quelques gorgées tout en maintenant son regard fixé sur Waters. La Main ne perdit pas une miette de cette scène, avalant difficilement sa salive, trahissant une certaine envie.

Le prince était comme un joyau, éblouissant et inatteignable. On pouvait le regarder, l'admirer, mais jamais l'effleurer. Cette distance inatteignable ne faisait qu'attiser la frustration de Waters.

Après un silence tendu, Waters retira lentement ses mains de la table, se redressant légèrement.

- Tout dépend du partenaire avec lequel on joue, souffla-t-il d'une voix mielleuse.

- Je n'aime pas faire équipe, rétorqua Jaehaerys d'un ton tranchant, sa patience déjà mise à l'épreuve.

- Sauf avec votre sœur, bien sûr. Si on ne connaissait pas l'innocence et la vertu de Sa Majesté, on pourrait presque penser que vous...

Les paroles de la Main étaient venimeuses, habilement tournées pour semer le doute sans jamais franchir la limite de l'offense directe.

Il insinuait sans jamais accuser ouvertement, laissant à l'audience le soin d'interpréter ses sous-entendus.

Jaehaerys posa calmement sa coupe sur la table, son visage impassible, bien que ses yeux trahissent une froideur calculatrice.

- Si je ne vous connaissais pas suffisamment, on pourrait croire que vous préférez... Si j'ose dire... Le jeune âge, déclara-t-il avec une lenteur délibérée.

Le visage de Waters ne bougea pas, mais ses yeux se plissèrent imperceptiblement. Il posa ses mains un peu trop brusquement cette fois sur la table, trahissant une gêne qu'il s'efforçait de dissimuler.

- Il n'y a rien de criminel à préférer la jeunesse à la vieillesse, déclara-t-il, tentant de conserver un air nonchalant.

- Tout dépend de quelle jeunesse on parle, répliqua Jaehaerys avec un sourire glacial.

Un rictus carnassier déforma alors les lèvres de Waters.

- Bien sûr, il ne faut pas cueillir un fruit trop tôt. Sinon, il perdra tout de sa saveur.

Les propos de Waters firent monter une vague de dégoût chez Jaehaerys. Il se retint de justesse de saisir un couteau pour lui trancher la gorge. Mais le prince savait mieux que quiconque comment maîtriser ses émotions. Il était un maître dans l'art de la politique, un jeu où il pouvait rivaliser avec la Main, et même la surpasser.

Avec une précaution mesurée, il se leva de sa chaise, se redressant de toute sa hauteur face à Ser Marston.

- Le roi et la reine viennent de terminer leur danse, dit-il faisant mine de rien, je vais rejoindre ma sœur.

Alors qu'il passait à côté de Waters, ce dernier se pencha légèrement et murmura à son oreille :

- Si ils avaient tous vôtre visage, je ne me poserais pas la question de savoir si le fruit est prêt à être cueilli ou non.

Jaehaerys serra alors les dents, refusant de lui accorder une réaction. Il continua son chemin, rejoignant sa sœur d'un pas décider.

Waters continuait quant à lui à régner en maître dans l'ombre... Et tant que la régence n'était pas abolie, même le roi ne pouvait le destituer.

Tel une vipère, il déambulait impunément dans les couloirs du Donjon Rouge, à la recherche de petites souris à dévorer.

Jaehaerys se voyait déjà lui trancher la tête, mais il était bien trop tôt pour espérer un tel dénouement.

Le serpent était difficile à coincer.

À suivre...