6. Persistance de la mémoire

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Ira furor brevis est

°•.ʚ♡ɞ •°

Il était près de vingt heures lorsqu'Augustin pénétra à nouveau dans l'étable, le cœur toujours troublé par les émotions qui l'avaient assailli dans la pénombre de l'église. La main sur le battant de la porte qui menait à la cachette où logeait Rafael, il prit un instant pour se ressaisir, la bouche étrangement sèche.

Tout est dans ta tête. Tout est dans ta tête mon vieux.

Il n'y avait jamais eu aucun contact physique entre eux. Juste les mots amers d'un homme endeuillé et ceux, plus doux, d'un homme d'église compréhensif prêt à aider son prochain.

Avec un petit grincement, le panneau de bois pivota sur lui-même, laissant se dessiner les contours de la charpente dans la pénombre. Devenue familière, la lueur tremblante de la lampe à huile éclairait toujours l'endroit qui avait été agrémenté de jeux et de couvertures pour ses occupants.

Et bien entendu, Rafael était là.

— Bonsoir Padre ! Vous êtes en avance ce soir. Il lança d'une voix étonnement joyeuse, ses beaux yeux noisette s'illuminant alors qu'Augustin faisait quelques pas dans la pièce, les mains crispées sur la anse de son cartable.

— Bonsoir Rafael.

Assis en tailleur sur sa paillasse, l'espagnol était en bien meilleure forme que les jours précédents, le sourire amusé peint sur ses lèvres attestant sa bonne humeur. A ses côtés, sur le petit tabouret habituellement destiné à son médecin, une lame de rasoir reposait aux côtés d'une bassine et d'un petit miroir ; il avait apparemment trouvé la force de faire un brin de toilette.

Les guenilles avec lesquelles il était arrivé dans l'étable avaient disparu, troquées pour une jolie chemise et un pantalon un peu usé ayant sans nul doute appartenu à François. Au niveau de son bras amputé, la manche de la chemise avait été nouée avec soin, permettant au coton de ne pas frotter contre son pansement.

Déglutissant, Agustin se détourna bien vite de cette vision plus que charmante - comprenez, cet homme au physique avantageux et à la chemise ouverte - préférant préparer de quoi l'examiner.

Mais comme la première fois qu'il l'avait rencontré, Rafael fut le premier à briser le silence, décidément bien trop en forme à son goût - cela malgré les nombreuses prières (façon de parler) qu'il avait exaucées tout l'après-midi, espérant qu'il soit tout aussi grincheux que le jour de son arrivée, histoire d'éviter toute tentation :

— Aucune remarque flatteuse ? Il fit, son sourire s'élargissant. J'ai dû passer une bonne partie de l'après-midi à enfiler cette chemise convenablement.

S'il releva les yeux vers lui, Augustin se contenta d'un petit sourire crispé, à la limite de la grimace.

D'habitude, ce genre de plaisanterie aurait appelé une réponse légère, ou même l'une des petites remarques philosophiques dont il avait le secret... mais à cette heure, le simple fait d'échanger quelques mots lui semblait insurmontable.

Il répondit un peu sèchement :

— C'est bien. Beau travail.

Rafael haussa un sourcil, habitué à entendre les encouragements du jeune religieux autour de tout ce qui avait attrait à « reprendre une vie normale ». Cependant, il ne quitta pas son joli sourire, persévérant avec un petit rire moqueur :

¡Pues aquí está! Si on m'avait dit qu'enfiler une chemise propre vous ferait tant d'effet, je me serais épargné cette peine !

Mortifié, Augustin baissa les yeux sur son tabouret occupé par le nécessaire de toilette de son patient, s'attelant à poser le côté lame de rasoir, blaireau et autres pots de mousse à raser comme s'il s'agissait d'un rituel de la plus haute importance, les traits tendus.

Rebellis Fides (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant