9. Ricochets

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Nitimur in vetitum...

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Si l'on avait dit à Augustin qu'il reviendrait un jour à la rivière après l'incident qui s'y était déroulé dix ans auparavant, il aurait sans doute rit avec amertume, incrédule.

Tout comme les traumatismes de la guerre, certaines blessures plus intimes ne guériraient jamais vraiment. Et pourtant, il se trouvait là, sur la route du lieu même où son premier amour l'avait repoussé, brisant son cœur en un millions d'éclats encore douloureux.

Mais quelque chose était différent aujourd'hui, il ne savait trop quoi.

- Frère Augustin ! Vous en voulez ?! Fit la voix excitée d'Ishem, ses petits pieds chaussés de bottes soulevant la poussière du chemin alors qu'il courait vers lui, un grand sourire aux lèvres.

Le visage maculé de tâches violettes, il lui tendit une main pleine de mûres sauvages, les yeux brillants. Face à cette bouille enfantine si adorable - comment refuser quelque chose à ce petit monstre - Augustin opina du chef, laissant fleurir un sourire attendri sur son visage :

- Merci Ishem, c'est très gentil de penser à moi. Il fit doucement, choisissant l'un des fruits avant de le faire fondre entre ses lèvres.

La chair sucrée de la mûre explosa contre son palais, son goût acidulé venant revigorer ses papilles.

Oui, quelque chose était différent.

Agréable, le soleil du début de l'après-midi caressait les arbres de la campagne aux feuilles jaunies, une douce brise portant le chant des oiseaux prêts à débuter leur périple vers le sud. Sur les bords du sentier de terre battue, les fruits sauvages embaumaient l'air de leur parfum.

S'il plissait les yeux, Augustin apercevait les silhouettes de Gisèle, Rafael et de la petite Sara, déjà presque parvenus à la clairière où s'écoulait la rivière qu'il redoutait tant. Riant, Ishem les rejoignit, surprenant sa grande sœur qui éclata de rire à son tour en voyant la couleur violette de ses lèvres.

C'était comme si la tempête s'était effacée, le tout puissant se décidant enfin à mettre fin à ses tourments.

Empreinte de la douceur de l'été Indien, une routine agréable s'était installée dans le presbytère. Elle débutait le matin, lorsqu'il montait réveiller ses locataires avant de partir à la prière. Durant son étude de l'après-midi ensuite, il entendait venant du grenier des rires étouffés alors que Gisèle arrivait sur le coup des quatre heures, les poches de ses pantalons chargées de jouets et de gâteries à destination des enfants.

Et enfin, alors que le soleil s'effaçait, il montait à nouveau, lisant une histoire aux plus jeunes avant de s'occuper des pansements de Rafael.

Car dans ce rituel qui se faisait à présent quotidien, le bel espagnol avait bien entendu sa place. Chaque jour, chaque heure, Augustin brûlait d'impatience à l'idée de pousser à nouveau la petite trappe du grenier pour l'y trouver, penché sur un livre d'images, occupé à distraire les enfants, ou bien tout simplement perdu dans ses pensées, installé face à la lucarne pour contempler la forêt.

Le temps faisant son affaire, son cœur endeuillé semblait cicatriser plus vite que son bras manquant et il était souvent d'humeur joyeuse - voire taquine. Plus une formule amère n'avait franchi ses lèvres depuis le soir où le jeune religieux s'était confié à lui.

Le tirant de ses réflexions, une main se posa sur son épaule au moment où il gagna enfin la petite rivière, légèrement essoufflé.

- Encore dans tes pensées, Padre ?

Rebellis Fides (MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant