11.Les mariés

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Cité noire.

Daphné

Le matin me cueillit avec une lenteur cruelle. J'avais l'impression d'être restée prisonnière du cauchemar toute la nuit, comme si une ombre invisible s'était accrochée à moi. Le réveil fut brutal lorsque j'entendis des coups doux, mais insistants, contre la porte. Je me redressai, encore engourdie, les paupières lourdes.

Daphné, il est temps, lança la voix de Léo, légèrement étouffée par la porte fermée.

Je laissai échapper un soupir, rassemblant tout le courage qu'il me restait. Ce matin-là avait un goût amer, un goût de retour en arrière, de quelque chose que j'avais espéré oublier. Je me levai à contrecœur, me traînant jusqu'à la porte. Léo entra, un sourire fatigué aux lèvres, tenant dans ses mains la robe blanche qu'il m'avait donnée la veille.

Prête pour ton grand rôle ? demanda-t-il avec une pointe de sarcasme, mais son regard restait compatissant.

Je suppose que je n'ai pas le choix, répondis-je d'une voix rauque, encore empreinte des résidus de la nuit.

Léo déposa la robe sur le lit, puis recula d'un pas.

Tu sais quoi faire. Je te laisse t'habiller, et je reviens te chercher.

Il quitta la pièce, me laissant seule avec cette robe qui semblait me fixer, comme un spectre du passé. Elle était d'un blanc éclatant, presque aveuglant sous la lumière du matin qui filtrait à travers la fenêtre. La dentelle délicate sur le col me rappelait étrangement les uniformes de l'école des épouses, ce tissu qui avait toujours été symbole de perfection et de soumission.

Je pris une profonde inspiration et m'approchai du lit. Mes doigts tremblaient légèrement alors que je touchais le tissu froid de la robe. En l'enfilant, j'eus l'impression de remettre un masque. Chaque bouton refermé était une nouvelle barrière érigée entre la personne que j'essayais de devenir et celle que j'étais vraiment. Je m'étais échappée de cette vie, et voilà que je replongeais dedans.

Le tissu caressa ma peau avec la même douceur oppressante que dans mes souvenirs, comme si cette robe aspirait tout souffle de liberté. Une fois la robe ajustée, je me tournai vers le miroir et attrapai la perruque blonde, me rappelant de la nécessité de paraître méconnaissable. Je la posai maladroitement sur ma tête, puis me concentrai sur mes cheveux, maintenant pris au piège sous cette fausse chevelure. Je fis un chignon serré, comme à l'époque, avec des gestes presque automatiques. Mes mains bougeaient seules, comme si elles avaient mémorisé ce rituel.

En me regardant dans le miroir, un frisson me parcourut. C'était comme si je regardais une autre personne. Non, pas une autre, mais une ancienne version de moi. Une ombre de la Daphné d'autrefois, celle qui suivait les règles sans poser de questions, celle qui portait ces robes sans broncher, qui obéissait aux ordres. La boucle était bouclée, et je détestais cette sensation d'étouffement. J'étais de retour dans cette prison de dentelle.

J'entendis Léo frapper doucement à la porte avant de l'ouvrir.

Alors ? demanda-t-il en s'appuyant contre l'encadrement de la porte, un sourire encourageant aux lèvres.

Ça me rappelle...l'école, murmurai-je en baissant les yeux.

Il hocha la tête, sans poser de questions. Il savait. Il comprenait, sans avoir besoin que je le lui explique.

C'est presque fini, dit-il. Une fois cette mission terminée, tu pourras t'en aller.

Je levai les yeux vers lui, espérant que ce qu'il disait était vrai. Mais en ce moment précis, avec cette robe blanche sur moi, j'avais l'impression d'être coincée dans un cercle sans fin.

LES PRIVILÉGIÉS DE L'AUBEWhere stories live. Discover now