Chapitre 13

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Kana était la femme la plus courageuse qu'il connaissait. Enfin, après sa mère, sa maman était la femme la plus courageuse du monde. Mais la voir rire et briller face à leurs trois interlocuteurs alors même qu'elle enfonçait de panique ses ongles dans sa main, par-dessous la table, était fascinant. Ilgog le savait déjà, bon sang, il avait passé les derniers mois à l'observer et à l'analyser à la dérobade. Elle faisait face au monde, frémissait, mais jamais ne cédait. Après ce qu'elle avait vécu, et Ilgog ne pouvaient qu'imaginer ce qu'elle avait vécu, elle aurait été en droit de s'effondrer, mais elle était trop têtue pour ça. Une part d'Ilgog craignait qu'elle n'en fasse trop et finisse par se briser en mille morceaux, l'autre s'inquiétait de la voir poursuivre sa vie dans une spirale destructrice.

À refuser de panser ses blessures, on les laissait s'aggraver. Il était bien placé pour le savoir.

Sir Harold Arthus, le fils aîné de lord Arthus et meilleur ami de Sir Reginald de Monfort ne cessait de flirter avec Kana. Celle-ci devait ignorer qui il était, ce qui n'était pas étonnant, sinon elle serait encore plus tendue. À sa connaissance – et Ilgog savait tout – Sir Harold n'avait jamais trempé dans les horreurs du Zoo, il n'était sans doute même pas au courant, autrement, jamais il ne l'aurait laissé s'approcher. Ilgog comptait un peu sur lui pour transmettre à Sir Reginald sa rencontre avec la « délicieuse demoiselle Kana, l'amie d'Ilgog ». Les deux autres hommes à la table étaient quantité négligeable, des petits comtes sans grande importance et surtout, sans leur entrée dans le cercle de relation très fermé de Sir Reginald.

— Et donc, vous êtes entrepreneur ? questionna un des deux comtes.

Dans son ton, il sentait le mépris de la noblesse pour la petite bourgeoisie. Pas qu'Ilgog en ait quelque chose à faire. Le Comte Fierson était fauché, et il ne venait ici que pour cacher ce fait. Tant d'argent dépenser inutilement pour ne pas montrer qu'on était désormais pauvre et subir l'opprobre de la société. Les humains en faisaient toujours des tonnes, avec leur bienséance, leur jugement constant et leur sacro-sainte réputation.

— On peut dire ça comme ça, répondit Ilgog avec ennuis, en caressant distraitement la main de Kana sous la table.

Celle-ci se raidit imperceptiblement et se rapprocha un peu de lui quand Sir Harold posa une main sur son bras.

— Dites-moi, comment un homme tel que vous possède-t-il ses entrées au Nébuleux ? J'espère que ma question ne vous offense pas !

Ilgog n'écouta la question que d'une oreille, il lâcha la main de Kana et passa un bras autour de ses épaules pour l'attirer plus près de lui. Il n'existait pas geste plus décent et possessif pour déconseiller à un autre homme de poser ses mains sur ce qu'il s'octroyait. Pas qu'il s'imagine pouvoir posséder Kana, oh, non, elle était bien trop fougueuse et libre pour ça. Ce stupide humain, en revanche, ne pouvait pas l'imaginer, élevé dans une famille qui objectifiait les femmes jusqu'à en faire des jolies parures à montrer en public. Pauvre.

— Je suis un ami de Fox Lucav, assena Ilgog.

Il savait que Fox avait une certaine aura, et que personne à cette table, en fait, personne dans ce bar, ne pouvait se targuer d'être son ami. Pas même lui, après tout, Fox était un renard et lui, un rat. Il n'était pas vraiment fait pour s'entendre, disons plutôt qu'ils se tolérer... Fox et sa famille pouvait le tuer lui et ses souris (pas toutes, elles étaient trop rapides), Ilgog et ses souris pouvait dévoiler des secrets tellement énormes qu'ils provoqueraient une guerre civile et ferait brûler la ville et les Lucav en premier. Un accord tacite s'était formé entre les deux hommes, qui fonctionnaient jusque-là. Fox était juste le Lucav qu'Ilgog détestait le moins et qui l'aidait à conserver la ville en un seul morceau. Le jour où ils cesseraient de s'entendre... eh bien, beaucoup de gens mourraient, et ce n'était à l'avantage d'aucun de deux, et surtout pas de la famille Lucav qui faisait sa renommée sur le dos des riches en faisant travailler les pauvres. Les guerres civiles, c'était mauvais pour les affaires.

— Vraiment ? Je ne l'ai jamais vu, il vient rarement par ici...

Ce petit comte ne fréquentait pas souvent l'établissement, donc. Ilgog savait de source sur que Fox venait au moins une fois par semaine, mais moins en ce moment, car sa compagne, Karrott, était enceinte. C'était une excellente raison pour rester plus souvent à la maison.

Même si ce n'était pas raisonnable, Ilgog écourta la soirée bien plus tôt qu'il n'aurait due. Les véritables festivités du Nébuleux commençaient passer minuit, mais Kana était assez tendu pour ne pas découvrir l'espace aménager du sous-sol ce soir. Ça lui rappellerait sans doute trop de mauvais souvenirs.

De toute façon, Sir Harold avait mordu à l'hameçon.

— C'était un honneur de te rencontrer, Lady Kana, souriait-il comme un débile.

Ilgog aurait voulu lui arracher la main, et la bouche quand il fit un baise-main des plus respectueux à Kana.

— Tout le plaisir était pour moi, mentit Kana avec un sourire magnifiquement faux.

— J'espère qu'on se reverra.

Rêve toujours, Ducon, songea Ilgog.

— Sans doute à l'occasion, dit-il plutôt.

Si leur proie ne mordait pas à l'hameçon du premier coup, ils seraient effectivement amenés à se revoir.

Ilgog posa sa veste sur les épaules nues de Kana, la nuit tombée, le froid risquait de rendre sa robe bien peu chaude. Elle ne protesta pas. En fait, Kana resta silencieuse la grosse majorité du trajet retour. Ils passèrent dans une ruelle animée où un jeune musicien faisait valoir un air d'accordéon entraînant sous les yeux ravis des passants. Ilgog le connaissait, c'était un petit humain avec de grandes oreilles, il arrivait à Ilgog de lui acheter des informations, à l'occasion, il savait lui donner des pistes intéressantes.

Ilgog avait hâte de ramener Kana chez lui, en sécurité, alors il ne ralentit pas le pas, mais la vipère, elle, le fit. Curieux, il vit qu'elle regardait avec intérêt le petit musicien, alors il s'arrêta pour la laisser apprécier la musique. Sans lâcher son bras, elle s'avança jusqu'au demi-cercle formé par la foule, l'air fasciné. Le corps tendu vers l'avant comme attiré irrésistiblement. Mais ce n'était pas l'accordéoniste qu'elle observait : c'était les quelques danseurs qui s'étaient risqués sur la piste improvisée, entraînée par ce chant mélodieux.

— Tu veux danser ? proposa-t-il en lui serrant doucement le bras.

Kana cilla et ce fut comme si le charme était rompu, elle se redressa, soudain blême, et elle mit une éternité à répondre.

— Non.

Elle détourna le regard et reprit la route, forçant Ilgog à la suivre.

Il fut certain de l'entendre murmurer quelque chose qui s'approchait d'un « je ne danse plus depuis longtemps », mais le bruit ambiant l'empêchait d'en être sûr.

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Ce chapitre est un des premier que j'ai imaginer entre Ilgog et Kana !

J'espère qu'ils vous aura plus, certes il met surtout en place la suite des événements mais il est quand même sympathique non ?

Enfin, bref, je vous dis à la semaine prochaine !

Kiss


Proie et Prédateur - La Vipère et le RatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant