Chapitre 3.

425 79 44
                                    

Le bar-restaurant d'Ilgog – pas celui où il récoltait la pire racaille de Jaykam, l'autre, celui qui se voulait sérieux et où Kana travaillait – fermait à une heure du matin. Il était à environ une heure de route du campement où sa jeune meute résidait. Si Kana était lasse de faire le trajet à des heures si tardives, jamais une plainte ne s'était échappée de sa bouche. Elle enfila son manteau – un des cadeaux empoisonnés d'Ilgog, combien d'heures en plus de travail pour ce manteau ? Elle l'ignorait – et elle sortie des vestiaires. Il n'y avait déjà plus personne, Kana ignorait où vivait les autres serveuses, sans doute dans les appartements au-dessus du restaurant, mais elles n'utilisaient presque jamais les vestiaires, où alors, jamais quand Kana y était.

Alors qu'elle traversait le restaurant vide aux chaises remonté sur les tables, Kana remarqua que Neo n'était pas là. Elle fronça les sourcils. Neo était un léopard appartenant à sa meute, celle-ci, composée quasiment exclusivement de membre masculin, si on exceptait Lilith, une renarde, avait décidé que laisser Kana rentrer seule à une heure du matin était irresponsable. Kana avait essayé, vaguement, de leur faire remarquer qu'elle avait un puissant poison dans les crochets, ils n'avaient rien voulu savoir et Neo était devenu son babysitter attitré. Mais c'était bien la première fois qu'il ne se présentait pas à la fin de son service, d'habitude il venait un peu en avance et prenait place à la table près de la porte.

Kana décida de l'attendre à l'intérieur, au moment où Ilgog sortie d'elle ne savait trop où.

— Neo n'est pas là ?

— Il doit avoir un peu de retard, marmonna-t-elle en croisant les bras.

Kana fit mine de s'intéresser à l'extérieur, comme si Neo allait surgir d'un instant à l'autre, mais elle observait Ilgog à travers le reflet de la vitre. L'intérieur du restaurant était plongé dans la pénombre, mais elle savait parfaitement à quoi il ressemblait. Un homme grand, taillé en V, au bras musclé et au crâne rasé. Et à la cicatrice fine qui barrait la partie gauche de son visage, de son sourcil au coin de sa bouche. Elle ne lui avait jamais demandé comment il se l'était faite, mais elle avait entendu quelques histoires.

Elle sentait son regard sur elle, mais il ne laissait rien paraître. Soit il était doué pour cacher ses émotions, soit il faisait un effort particulier pour elle, parce qu'elle n'oublierait jamais son regard, ces premiers jours-là.

L'enfer avait laissé un goût de sang dans la bouche de Kana. Son corps était au-delà de la fatigue, comme en pilote automatique, elle agissait, parlait, prenait des décisions pour sa survie, mais ce n'était qu'une illusion, plus rien ne fonctionnait correctement, son esprit autrefois acéré était éteint, sa vipère était absente. Ça faisait trois jours, depuis l'explosion qui l'avait arraché aux entrailles du Zoo, la prison illégale de leur ennemi juré, Lord Arthus. Un humain riche, puissant et franchement tordu. Trois jours que chaque inspiration d'air frais lui semblait irréel, que le soleil lui abîmait délicieusement les yeux, comme si elle ne l'avait jamais vu. Il n'y avait pas de soleil au Zoo, seulement le noir et l'humidité.

Il était sorti des bois, serein, comme si le monde lui appartenait, alors qu'il s'était introduit sur le territoire d'une meute de prédateurs. Et pour la première fois depuis une éternité, sa vipère s'était manifestée, violemment. Elle s'était projetée au-devant de l'esprit de Kana et celle-ci avait fait plusieurs pas pour se placer près de Tarik avant de reprendre le contrôle de son corps humain. Elle avait mis plus de temps qu'elle n'aurait dû pour comprendre : Ilgog était une proie et sa vipère le trouvait à son goût.

Et quand son regard s'était posé sur elle, elle avait frissonné. Ses yeux s'étaient enflammés, de toute évidence, lui aussi la trouvait à son goût, mais il avait bien vite détourné les yeux.

Proie et Prédateur - La Vipère et le RatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant