Chapitre 3 Réconciliations

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Face à moi, je vois le même puits que dans le film d'hier. Je regarde autour de moi, mais cette fois, je ne lui ressemble pas. Adieu les beaux cheveux longs et ondulés de couleur blond vénitien. Je suis toujours moi... Pas de réincarnation physique dans ce rêve-là !
En ce qui concerne le puits, il me semble un peu différent de ce dont je me souviens. Il émane une impression qui n'était pas mentionnée dans la légende. Ce puits parle... Oui, c'est bien ça, il m'appelle, j'entends une voix venant de l'intérieur. Ce n'est pas la première fois que je l'entends, mais elle paraît plus familière et moins stridente.
— Anna... Anna... Anna...
Ce ton mystérieux attire mon attention, je décide donc de découvrir qui m'appelle. Curieuse, je m'incline au-dessus du puits. L'eau, d'une teinte bleu azur, m'intrigue. Un peu trop déséquilibrée, je bascule en avant, sombrant dans les profondeurs. Je plonge tête la première dans la flotte, et étrangement, mon entrée dans l'onde ne produit aucun son. Paradoxalement, je ne ressens pas la peur que je devrais éprouver. En ouvrant les yeux, sans éprouver ni douleur ni désagrément, je scrute les lieux autour de moi, puis j'oriente mon regard vers les profondeurs de la cavité. Bien que le courant vibrant modifie légèrement ses contours, je parviens tout de même à l'apercevoir. On peut discerner avec clarté sa présence, cette porte. Je suis convaincue que je dois m'y aventurer. Elle m'est si familière. Sous l'eau, cette voix devient encore plus lumineuse et mélodieuse, presque comme une caresse réconfortante pour l'âme.
— Nage  Anna...nage... nage ...
Veut-elle que je la retrouve ? Quelque chose me dit que je dois l'aider. Je commence à patauger et j'y mets toutes mes forces pour rejoindre cette entrée. Elle semble si éloignée, je continue à nager. Encore et encore. Mais j'ai l'impression de stagner. Une boule de stress se forme dans mon ventre. La voix s'affaiblit de plus en plus.
—Anna plus vite, nage, nage...
Prise de panique, je gigote de nouveau vigoureusement. Mes jambes s'agitent rapidement et mes bras bougent avec intensité. L'air dans mes poumons se comprime fortement, et je commence à me noyer. Mes mouvements ralentissent, désireuse d'atteindre la fin, je n'ai pas le temps de refaire surface. Cette fois, je me noie réellement. Mes yeux se ferment progressivement et l'obscurité s'installe. L'eau pénètre dans ma bouche. Je suffoque, je manque d'air, mais sans ressentir de douleur. Je suis épuisée, mon inconscience s'impose, et le vide émerge. Un terrible cauchemar encore une fois...
Encore ce parfum. Reprenant connaissance, j'ouvre brusquement les yeux et suis éblouie. J'essaie plusieurs fois de lutter en battant des paupières, mais je ressens un picotement désagréable. Je les ferme immédiatement. Mon Dieu, je n'avais pas souvenir d'une telle sensibilité à la lumière !
Je me frotte instinctivement les yeux avec mes mains. Je suis debout et j'essaie encore d'ouvrir les yeux. Tout est flou. Je fais un effort et les force à s'ouvrir. Par tous les diables, encore cette foutue rose ! Par milliers !
La terre tremble sous mes pieds, le sol se fend avec un bruit sourd. Soudain, mon corps chute dans le vide, mais cette fois, je touche le sol dur et froid plus rapidement ; c'est désagréable et violent. La voix qui suit n'est ni douce ni tendre, mais pleine d'inquiétude et rauque.
— Mon ange, tout va bien ?
J'en conclus, à la réaction d'Aymeric, que j'ai quitté le lit ; effectivement, mon réveil se retrouve étalé sur le sol.
— Tout va bien. J'ai juste fait un horrible rêve, j'ai dû m'agiter trop fort et je suis tombée.
Une propulsion m'attire vers le haut, Aymeric me relève d'un geste vigoureux. Je suis maintenant assise sur le lit avec, en prime, tout d'un coup, une bonne nausée. Mon corps a trop connu de va-et-vient en quelques minutes, mon cœur le supporte difficilement.
— Tu m'as fait peur... Je me suis réveillé en sursaut après avoir entendu un gros boum. Et quand je me suis retourné, tu étais déjà par terre. Tu ne t'es pas blessée ?
— Rien du tout, je suis entière.
Par mesure de précaution, je touche mon visage et ma tête pour vérifier s'il n'y a pas de sang qui s'en écoule. Il m'est déjà arrivé d'être blessée après un de ces cauchemars terrifiants.
Rien à signaler, tout est intact. Je le rassure en lui adressant mon plus beau sourire. Désormais, ma peur a complètement disparu. Je rougis rapidement à la vue de ce spectacle... Aymeric est sans vêtements, seulement recouvert de couette. Les souvenirs de la nuit précédente s'accumulent. Étourdie et perdue, je jette un coup d'œil dessous. Je suis dénudée. Je me couvre la poitrine si rapidement que mes cheveux volent dans tous les sens, révélant un visage rouge comme une pivoine. Il rit. L'une de ses mains saisit mon menton et caresse doucement ma lèvre inférieure avant d'attirer mon visage vers le sien. Il est désormais si près que je sens son souffle lorsqu'il m'embrasse tendrement le front.
— Habille-toi, mon ange, je te ramène le petit déjeuner.
P.A.R.F.A.I.T ! Cet homme ne cesse jamais de faire vibrer et de submerger mon petit cœur d'amour.
— Comme au premier jour ...
Voilà que je laisse échapper mes pensées, Aymeric est dangereux.
Séparée par une porte-fenêtre, la chambre est baignée de soleil. J'ouvre la fenêtre et m'installe sur le canapé d'angle de la terrasse. Depuis le balcon, je peux admirer leur grande propriété. La maison évoque un manoir d'autrefois, entourée d'un vaste terrain rempli d'arbres variés, et protégée par une imposante grille en métal aux pointes acérées. Chaque membre de la famille a un espace extérieur privé, ce qui permet à chacun d'avoir un peu d'intimité. Pour profiter de ce matin ensoleillé, je ferme les yeux et me laisse emporter par le chant des oiseaux. Je les distingue presque facilement des motos, vélos, voitures et TGV, jusqu'à n'entendre plus rien...

Mon réveil est masqué par l'odeur des petits pains chauds. Séduite par ce doux parfum, je laisse de côté mon coussin douillet. Devant moi, un joli plateau rempli de viennoiseries. Aymeric s'est assis discrètement à mes côtés. Je comprends mieux cette chaleur réconfortante, je n'éprouve aucun frisson désagréable.
— Le petit déjeuner de madame est servi. Au menu, votre thé à la violette accompagné de petits croissants chocolat-raisin et un verre de jus d'orange pressé maison.
— Ça a l'air délicieux !
Mains jointes, j'en ai l'eau à la bouche, un petit ricanement m'échappe au même moment.
— Allez, attaque mon ange, je vois bien que c'est une torture pour toi d'attendre plus longtemps.
Aymeric me connaît bien, il sait que je succombe complètement à ces pâtisseries. Le weekend est passé aussi vite que j'ai dévoré toutes ces douceurs. Il est déjà temps de rentrer, ce que je n'ai pas envie de faire. Mon sac est prêt, et Aymeric ainsi qu'Agathe m'accompagnent jusqu'à la gare. Mon cœur se serre à l'idée de les quitter, je déteste vraiment la fin de ces séjours en leur compagnie. Mon cœur hésite encore entre deux sentiments, la tristesse ou la jalousie. Je les envie de rester dans cette magnifique ville. Qu'est-ce que je rêverais de pouvoir habiter ici, près d'eux... Si bien que je ne comprends vraiment pas ce qui m'en empêche ?
Agathe ne cache pas sa tristesse, ni ses larmes, elle se jette sur moi avant que ce ne soit le tour d'Aymeric.
— On se retrouve dans quelques jours, Anna. Je te promets que j'essaierai de t'appeler plus souvent.
— Toi aussi, tu vas me manquer ! Mais je reviendrai rapidement, c'est juste une question de quelques jours !
— J'ai tellement hâte ! Ça va être génial, vivement la soirée d'Halloween !
Dans ses yeux, une lueur d'excitation scintille. Halloween est l'une de ses fêtes préférées. Son enthousiasme débordant est vite tempéré par la sagesse de son frère qui lui rappelle certaines de nos petites maladresses.
— Malheureusement, tu vas encore traumatiser des pauvres enfants avec tes costumes beaucoup trop réalistes.
Aymeric ne s'est jamais déguisé pour cet événement, mais il nous a toujours accompagnés. Surtout quand Agathe et moi décidons d'errer dans les rues à la tombée de la nuit, il n'apprécie guère de laisser de jolies jeunes femmes sans surveillance dans une aussi grosse ville. Sinon, je me trompe peut-être et il souhaite simplement s'amuser aussi. Aurait-il l'audace de regarder d'autres jeunes demoiselles, habillées de tissus simples à peine plus longs que leurs avant-bras ? Non, il n'oserait pas... Cette pensée me fait esquisser un petit sourire malicieux.
Agathe s'écarte à contre-cœur et me laisse seule avec Aymeric. Mais bien évidemment, elle ne peut s'empêcher d'insulter son frère avant de détaler comme un lapin.
— Je t'attends à la voiture, mon blaireau.
Il se retourne soudainement, mais se retient de lui botter le cul. C'est vrai qu'elle en aurait parfois besoin. Malgré ce bref échange de tendresse fraternelle, je sens qu'Aymeric est triste de me voir partir. Les adieux passagers sont aussi douloureux que les séparations définitives.

***

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