INTRODUCTION

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  Depuis les plaques de plexiglas maculées, noircies par des années d'exposition à la poussière cosmique, la Terre paraissait n'être plus qu'un kyste écailleux dans l'obscurité infinie de l'espace. La planète bleue, autrefois mère nourricière, se ternissait lentement, drapée d'un voile de cendres. Ses océans, à peine visibles à cette distance, ressemblaient à des plaies infectées qui suppuraient un vert gris maladif, tandis que ses continents émergeaient tels des îlots carmins, fissurés par des cicatrices profondes et indélébiles. Les éclats du soleil, pâles, perçaient faiblement les hublots, égayant par intermittence l'intérieur du laboratoire. Mais cette lumière n'avait rien de réconfortant. Elle dansait sur les parois métalliques, projetant des ombres difformes et tremblantes, évoquant les derniers spasmes d'un corps mourant. Le laboratoire lui-même semblait respirer la désolation. Ses murs, couverts d'une patine de crasse et de suie, renvoyaient des échos angoissants à chaque vibration du vide extérieur.

Sous les néons vacillants, six silhouettes humaines se tenaient figées, alignées comme des soldats maudits, victimes silencieuses d'un rituel impie, face à une septième, plus lumineuse. Ces hommes et femmes, qui avaient voyagé à travers les confins du système solaire pour répondre à l'appel de leur hôte, étaient maintenant captifs d'une atmosphère pesante, presque suffocante. L'air, recyclé à l'infini dans ces entrailles mécaniques, portait en lui les relents de la mort et de l'effritement — un mélange nauséabond de sang rance, de produits chimiques, et de quelque chose de plus insidieux, une odeur qui glissait dans l'ombre : la peur elle-même, condensée dans chaque respiration.

Leur hôte, Lihial, se tenait droit, immobile au centre de la salle, une figure monolithique, presque divine dans son inhumanité. Le visage éclairé par la pâleur vacillante des néons, il ne montrait aucune trace d'émotion. Son regard, d'un violet profond et glacé, traversait la pièce sans véritablement se poser sur les autres. Ses yeux étaient fixés sur ce qui trônait au cœur de la scène : une série de sept cuves massives, disposées en demi-cercle, chacune contenant un fœtus suspendu dans un liquide amniotique aux reflets nacrés. Ces créatures embryonnaires flottaient dans un silence spectral, attachées à un réseau tentaculaire de câbles et de tubes qui les reliaient à une console imposante, grandiose comme une idole.

Les machines cliquetaient, murmuraient, comme si elles chuchotaient des incantations interdites à l'oreille de quiconque osait les écouter. Les fœtus, prisonniers dans leurs cavernes de verre, semblaient dormir d'un sommeil sans fin, mais l'air lui-même paraissait chargé d'une tension palpable, comme si quelque chose, quelque part, s'apprêtait à éclater.

L'un des invités, un homme au visage creusé par les rides et l'inquiétude, se rapprocha de la console. Ses doigts parcouraient les données qui défilaient sur les écrans holographiques avec une lenteur presque religieuse. Son teint se fit blême à mesure que la vérité lui apparaissait. Le programme que Lihial avait conçu — ce rituel technologique — n'était pas simplement une folie scientifique. C'était bien plus sombre, bien plus ancien, une prière profane adressée à une entité impensable. Une terreur viscérale s'empara de lui, dévorant son calme, les rouages de son esprit craquaient sous le poids d'une horreur indicible.

Lihial, sentant la peur s'insinuer parmi ses invités, esquissa un sourire presque imperceptible. Ce n'était pas un sourire humain ; c'était une déformation, un rictus glacial qui ne parvint pas à atteindre ses yeux. Il ne s'agissait pas d'orgueil ni de triomphe. Non, ce qu'il ressentait dépassait ces émotions banales. Ce qu'il voyait devant lui, ce qu'il avait créé, c'était la promesse d'un nouvel ordre. Une réécriture de l'humanité elle-même.

Il s'avança doucement vers la cuve centrale. Le verre froid vibra sous sa main lorsque ses doigts y touchèrent. Une onde de chaleur sembla traverser le liquide synthétique, et le fœtus à l'intérieur réagit. D'abord lentement, subtilement, puis plus distinctement, il remua, ses membres maigres se contractant dans un mouvement fluide. Soudain, ses paupières fines s'écartèrent, révélant des orbites désertes, d'un vert luminescent, presque incandescent. Lihial, immobile, contemplait l'horreur avec une fascination absolue.

Ces yeux sans âme, ces pupilles changeantes, se modifièrent sous les regards terrifiés des invités. D'abord des spirales, puis des fentes verticales reptiliennes, avant de prendre des aspects chaotiques, l'essence même du vide se tordait derrière ces iris en perpétuelle transformation. Puis, dans un dernier frisson, les yeux adoptèrent une forme humaine, une perfection absurde, une imitation grotesque de la nature.

« Qu'as-tu fait, Lihial ? » finit par murmurer l'un des invités, la voix brisée, hantée. « Et... que vas-tu faire de ces... créatures ? »

Le silence qui suivit fut plus lourd encore que la question. Il pesait sur les épaules des témoins, enserrant leurs gorges de mains invisibles. Lihial tourna lentement la tête, son regard plongeant dans celui qui l'avait interrogé. Ce qu'il répondit n'était ni un motif ni une explication, mais une sentence. Une sentence froide, effrayante dans sa simplicité :

« Que Dieu me pardonne, comme j'ai pardonné à Ses enfants. Ne voyez-vous pas ? Vous êtes en présence de la perfection. La Grande Rémission. »

Ses yeux brillèrent d'une lueur qui n'était plus seulement de la satisfaction. C'était un feu sacré, une folie dantesque qui brûlait avec la conviction d'un prophète maudit. Il recula légèrement, les bras écartés, pour dévoiler l'immensité de son œuvre. « L'erreur de l'humanité est corrigée. Ce que vous voyez là, c'est la rédemption. La fin de la chute. La renaissance. »

Ses invités, figés dans un mélange de terreur et de doute, saisirent enfin. Ce n'était pas seulement une expérience. Lihial ne cherchait pas à améliorer l'humanité. Il voulait la transcender, la refaçonner à l'image de quelque chose d'au-delà des limites naturelles. Quelque chose qui ne devait pas exister. Quelque chose qui ne pouvait pas être compris.

Et pourtant, devant eux, cette créature... cet enfant du vide les regardait maintenant, conscient.

ATARAKUSHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant