C.T.

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 La pluie acide crépitait doucement autour de lui, chaque goutte mordant le trottoir comme si le béton lui devait quelque chose. William, les épaules un peu affaissées, sentait encore la torpeur des deux semaines qu'il venait de passer enfermé dans un simulateur. La Plongée Neuronale avait affiné ses réflexes, renforcé son kung-fu virtuel, mais elle lui avait aussi donné une étrange impression de vide, comme si tout était un peu plus flou maintenant, un peu moins réel. C'était le prix à payer pour son écart de conduite. Un laboratoire saccagé, Zulum furax, et Ovide... ah, Ovide. Il n'avait pas crié, non. Il n'était pas du genre à hausser la voix. Sa colère ressemblait plutôt à une pression sourde, constante, comme une enclume suspendue au-dessus de William. Ce genre de rage qu'on ne sait jamais exactement quand elle tombera, mais on sait qu'elle tombera.

Il y pensait encore, se demandant s'il n'aurait pas dû dire quelque chose d'intelligent au moment où Ovide lui avait imposé cette peine. Peut-être une remarque sarcastique ou une réflexion sage. Mais non, rien ne lui était venu. Comme souvent. Il était resté là, muet comme une carpe, devant cet homme dont la simple présence semblait aspirer toute la confiance en soi dans un rayon de dix kilomètres.

La rue autour de lui était animée d'une sorte de vie sourde et désorganisée, presque mécanique, mais elle vivait tout de même. Le flux de drones flottait au-dessus des têtes, des passants enveloppés dans leurs manteaux protecteurs contre la pluie corrosive marchaient d'un pas pressé, évitant avec une précision millimétrée les flaques et les trous dans le béton rongé. William, lui, s'était posé sous un abribus bancal, à peine convaincu de sa capacité à tenir le choc. Mais il tenait encore. Un coup de chance peut-être, ou un oubli de la ville dans son éternel processus de délabrement. D'une main un peu tremblante – peut-être à cause du froid, peut-être à cause de la fatigue – il alluma un joint de cyberskunk. Eve, dans un coin de sa tête, lui lança un regard désapprobateur, son image flottante à moitié formée dans son esprit, comme si elle était là juste pour râler. "Un jour, ça va te bousiller," murmurait-elle à chaque fois. Mais William se disait que ça ne pouvait pas être pire que ce qu'on faisait bouffer aux familles dans les grandes surfaces. Une bouffée plus tard, un nuage rosé monta lentement dans l'air lourd, et la tension qui lui tordait les épaules commença à se dissiper.

Pour une fois, ses sens, habituellement trop aiguisés pour qu'il puisse apprécier quoi que ce soit sans inconfort, se mirent en sourdine. La rue semblait moins hostile, les bruits de la ville moins perçants. Même l'odeur d'urine qui flottait dans l'air depuis qu'il avait mis les pieds dans ce quartier se faisait plus douce, presque supportable. Une odeur vintage, se dit-il avec un sourire débile.

Tout ça, c'était devenu une habitude. William n'avait jamais trop réfléchi à ce que les gens disaient sur les mutants. L'apparence ? Qui s'en souciait ? Dans ce monde où on pouvait ressembler à peu près à tout ce qu'on voulait avec les bons crédits et un bon chirurgien. Non, ce n'était pas ça qui le perturbait. Ce qui le gênait vraiment, c'était les sensations, cette hyper-conscience du monde, chaque détail frappant ses nerfs. Il était mutant, certes, mais ça n'empêchait pas qu'il ait envie, parfois, de ressentir les choses comme n'importe quel humain.

Le joint aidait. Enfin, assez pour qu'il ose sortir son téléphone. Un vieux modèle, translucide avec une interface holographique qui s'étira dans l'air quand il le posa sur son genou. Une cinquantaine d'appels manqués. Il secoua la tête, amusé malgré lui. Qui avait bien pu croire qu'il prendrait la peine de répondre ? Avec un soupir, il appuya sur l'icône d'Ovide. Rien ne pressait après tout, sauf peut-être cette guerre interplanétaire qui grondait quelque part dans l'espace. Mais ça, William pouvait toujours prétendre ne pas y penser. Du moins, pas avant la fin de son joint. La voix d'Ovide, grave et déformée par la synthèse, résonna dans le casque de William, tranchante comme une lame digitale.

ATARAKUSHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant