ATARAKUSH

TOXIQUE

 L'homme ouvrit les yeux, savourant ce qui devait être le premier jour de vraie tranquillité dans sa vie. La lumière du matin perçait à travers les rideaux tirés, filtrant doucement sur le décor austère mais luxueux de sa chambre. Les murs étaient tapissés de trophées, de plaques dorées, de récompenses encadrées de son laboratoire. Ici, il n'y avait que l'essentiel, et ce qui comptait : photos de famille souriantes, certificats, prix scientifiques. L'apogée d'une carrière bien menée. Il ne pensait jamais arriver à la retraite vivant, pas dans une ville comme Charlatown. Mais il l'avait fait.

Sa femme était partie avant l'aube pour son propre travail, et les enfants avaient pris le bus pour l'école. C'était pour lui une matinée rare, une accalmie, un luxe mérité dans une vie où chaque seconde valait de l'or. Dans la cuisine high-tech, un petit déjeuner de rêve l'attendait. Sur la table de bois poli, des œufs pochés garnis d'herbes, des tranches de bacon croustillantes, des viennoiseries impeccablement dorées. Chaque bouchée était une jouissance — la quintessence du goût, la vraie vie. Les matins à Charlatown étaient peut-être d'habitude synonyme de coups de feu et de sirènes de police, mais là, en cet instant, il n'y avait que lui et son festin.

Mais la seconde où il planta sa fourchette dans les œufs, tout bascula. Une sensation glaciale pressa contre son front, juste là, entre les sourcils. Il avala de travers et leva les yeux. Face à lui se tenait un homme, un spectre sorti de nulle part, le canon d'une arme pointé sur son visage. Une figure menaçante, froide, le visage impassible encadré de mèches vertes. Une lueur étrange scintillait dans les yeux de cet homme, des iris qui ondulaient, s'adaptant comme des capteurs vivants. C'était William, dans toute sa noirceur.

Le mutant pencha la tête, un rictus à peine perceptible. Ses yeux semblaient analyser chaque détail, chaque frémissement de peur chez sa cible.

« On m'a dit que t'étais un des meilleurs de chez C-Cure, » attaqua-t-il, sa voix tranchante, sans chaleur. « Alors, comment ça se passe la retraite, les mecs comme toi sont pas réduit au silence lorsqu'ils quittent la maison ? »

Le scientifique sentit la sueur froide se glisser le long de sa nuque. Un des meilleurs de C-Cure, oui. En temps normal, il aurait pris ce titre pour un honneur. Mais sous le regard de cet homme, il y avait comme une saveur amère à cette reconnaissance. C-Cure, la méga-corporation de sécurité cybernétique qui contrôlait l'accès au cyberespace,, qui protégeait le Voile, qui contenait les Shayatin, ces IA démoniaques, ces entités virtuelles assoiffées de chaos. Il n'avait jamais pensé qu'un intrus viendrait jusque chez lui avec une arme pour ça.

« C-Cure. J'ai fais ça pour la recherche, pour maintenir ces horreurs hors du système, pour protéger la population. Pas pour l'argent, » dit-il avec une tentative d'assurance dans la voix. Mais l'arme, pressée contre son front, lui rappelait douloureusement que l'argent n'était peut-être pas son problème immédiat.

William eut un ricanement sec, qui semblait plus corrosif que sincère. Puis un silence. Le scientifique serra les poings sous la table. Malgré la terreur, il tenta de se redresser. Il sentit la rage monter, son sentiment d'impuissance lui brûlant la gorge. Mais avant qu'il ne trouve de réponse, William continua. « Écoute, je suis pas là pour une leçon de morale. T'as bossé pour eux assez longtemps pour savoir des choses. J'ai une amie, elle est allée chasser ces IA – les Shayatin, je crois. Et toi, tu vas me dire comment elle s'y est prise. Où elle a été. Parce que, si je dois trouver un autre moyen de te faire parler, crois-moi, ça va être moins agréable que ton petit-déj. »

William ne bougea pas, ses yeux perçants rivés sur le scientifique qui avait repris un peu de couleur. Lentement, avec une lueur d'incrédulité, le vieux chercheur s'autorisa à répondre.