Chapitre 19 Impulsivité

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Chapitre 19

Impulsivité

11 mai 2024

Jour 3

Je regarde Bastien se lever et quitter la pièce. Alors que je me sentais au fond du trou, prête à me laisser aller à la neurasthénie et à la déprime, son absurde déclaration d'amour réveille mon courroux. Comment peut-il prétendre m'aimer après tout ce qu'il m'a fait subir ? Un rapport inégalitaire basé sur la peur, la contrainte et la violence n'a rien à voir avec de l'amour. C'est juste une relation toxique et malsaine.

Bastien est possessif et je me rends compte qu'il l'a toujours été. Il était certes plus modéré, mais déjà au lycée il ne pouvait pas supporter de me voir avec un autre homme alors que c'était lui qui avait décidé de me quitter. Sauf qu'à présent, sa possessivité a carrément viré à l'obsession. Non seulement il est obnubilé par le fait que je sois son entière et exclusive propriété, quitte à marquer son territoire en me brûlant la peau, mais en plus il voudrait que ses sentiments soient réciproques. Quand il m'a torturée hier, il est entré dans une colère noire parce que je refusais de lui dire que je l'aime. Mais si l'amour ne se partage pas par la force, la rage, elle, peut se mutualiser ainsi.

Moi aussi, Bastien, je suis en colère. Très en colère, même. Mais la différence avec toi, c'est que moi, j'ai de bonnes raisons de l'être. Tu as failli étouffer le peu de volonté qu'il me restait pour lutter contre toi en me martyrisant, mais prétendre m'aimer, affirmer que c'est une évidence, c'est m'injecter la haine par inoculation intraveineuse. Je vais m'accrocher, je ne cesserai jamais de me battre.

J'ai conscience que plus personne ne m'attend dehors. Je ne veux pas revoir Romain. Je ne veux pas revoir notre maison. L'idée de la vider et de la mettre en vente pour que chacun puisse récupérer sa part m'épuise d'avance. Pourtant, je ne peux pas me résoudre à rester ici. C'est décidé, je dois multiplier les actions jusqu'à ce que l'une d'elle finisse par aboutir sinon à ma libération, au moins à la mort de Bastien. Je ne peux pas attendre d'avoir un plan élaboré pour fuir, je ne tiendrai pas. Je dois passer à l'acte immédiatement, peu importe les conséquences.

Une stratégie me passe par la tête. Je ne prends pas le temps de l'étudier, de la peaufiner, ni de réfléchir aux tenants et aux aboutissants. J'agis.

Je sors de la salle de bain à la hâte et tire le fauteuil situé face au lit pour le placer devant la porte de la chambre. Je le bascule afin de bloquer la poignée avec son dossier. Je me dirige ensuite vers la table de chevet, et l'emporte dans la salle de bain. Je prends le premier t-shirt qui me tombe sous la main dans le dressing et le déchire en plusieurs bandes.

Tout est prêt, c'est le moment. L'adrénaline accélère mon rythme cardiaque et me galvanise. J'expire profondément pour me décharger des tensions qui me crispent les épaules. Je saisis la table de chevet, la lève au-dessus de ma tête pour la jeter sur le miroir mais soudainement je sursaute et lâche le meuble en poussant un petit cri de surprise.

J'ai vu dans le reflet une silhouette passer furtivement derrière moi. Je me retourne et inspecte chaque coin de la pièce du regard. Personne. Pourtant je suis sûre et certaine d'avoir vu quelqu'un. Mon cœur bat la chamade. Je fais un nouveau tour sur moi-même et constate que la pièce est bien vide.

Je reprends la table de chevet et la porte au-dessus de ma tête. Mes mains tremblent un peu. Je ne comprends pas comment j'ai pu voir une forme humaine passer dans mon dos sans qu'elle ne soit dans la pièce. Peut-être que je suis face à une vitre sans tain et que j'ai pu apercevoir quelqu'un derrière ?

Qu'importe. Je ne dois pas me laisser déstabiliser et aller au bout de mon idée. Si on me regarde de l'autre côté, je vais vite le savoir. De toutes mes forces, j'envoie la table de chevet sur le miroir au-dessus du lavabo. Il se brise dans un vacarme qui, je n'en doute pas, ne tardera pas à alerter mes geôliers.

L'horloge tourne. Ils seront là d'une minute à l'autre. Je dois me dépêcher de mettre à exécution mon plan. J'ai à peine le temps de réaliser que seul un mur se trouvait derrière mon reflet que je me jette sur un morceau de miroir d'une vingtaine de centimètres. Ses bords coupants me ragaillardissent instantanément. J'enroule une bandelette de t-shirt autour de l'une de ses extrémités pour en faire une poignée puis cache mon arme dans le dressing, sous une pile de vêtements de Bastien. J'ai maintenant de quoi me défendre et attaquer, je ne me sens plus fragile et vulnérable. Je suis puissante.

- Qu'est-ce qui se passe ? Coline ?

J'entends tambouriner à la porte.

- COLINE !

Ils ont entendu mon boucan et ils savent à présent que je me suis enfermée. Vite, je n'ai pas une seconde à perdre. J'attrape un autre morceau de miroir et le pose sur mon avant-bras. Le sang doit couler à présent.

- Coline ! Réponds putain !

Je reconnais la voix de Bastien. Je sens son inquiétude à son intonation. Bientôt, ses appels sont suivis d'un bruit de choc fort et grave, puis d'un autre.

Boum ! Boum ! BOUM !

Ils essaient de défoncer la porte. Allez Coline, ne te dégonfle pas ! Surtout, ne réfléchis pas ! Tu peux le faire !

Je regarde ma main agitée de légères secousses tenant le fragment de miroir sur mon poignet. Le projet n'est pas de me suicider. Enfin, je ne suis pas contre l'idée. Je n'ai plus rien à perdre, je n'attends plus rien de la vie. Jusqu'ici elle m'a apporté plus de malheurs que de bonheurs et mon espoir que cette tendance s'inverse est mort. Mais je serais étonnée d'y parvenir.

J'ai déjà essayé quand j'avais treize ans. Déterminée, armée d'une lame de cutter beaucoup plus tranchante, j'avais pratiqué cinq profondes entailles sur mon poignet dont les cicatrices sont encore visibles aujourd'hui. Pourtant, je n'avais pas réussi à me vider suffisamment de mon sang pour mourir. Se tuer de cette manière n'est pas si simple qu'il n'y paraît. Je doute d'avoir plus de succès maintenant, mais ce qui m'importe c'est surtout qu'eux croient que telle était mon intention.

Je ferme les yeux, appuie sur le morceau de miroir qui perce déjà ma peau et fait perler une goutte d'hémoglobine, avant de le faire glisser d'un geste sec. Je recommence deux fois, trois fois. Le sang se met à couler abondamment de mes coupures. J'en essuie un peu avec plusieurs bandelettes de t-shirt que j'étale autour de moi, histoire de rendre la scène plus spectaculaire.

BOUM !

J'entends la porte de la chambre exploser dans un fracas monstrueux. Le timing est parfait. J'ai eu le temps d'aller au bout.

Bastien entre en courant dans la chambre et se stoppe net sur le seuil de la salle de bain. Sidéré, il me regarde saigner au milieu des débris de miroir. Je lève les yeux dans sa direction et lui lance un regard que j'espère affligé, tout en me mordant l'intérieur des joues pour m'empêcher de rire.

Souvenirs enchaînésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant