Chapitre 11 Haut le coeur

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Chapitre 11

Haut le coeur

9 mai 2024

Jour 1

Choquée, je détourne le regard. Je suis dégoûtée, écoeurée. J'appuie mon front sur l'épaule de Bastien qui me tapote gentiment la cuisse, comme pour me dire "ça va aller". Yeux fermés, j'entends les bruits de succion et commence à me sentir vraiment mal. Envie de vomir, vertiges, je me demande si je vais rendre ma part de pizza ou m'évanouir. Bastien le remarque :

- Ça va Coline ? T'es toute blanche.

- Non... Je crois que je vais gerber... Ou tomber dans les pommes... Ou les deux...

Il se lève aussitôt pour passer un bras derrière mes genoux, l'autre dans mon dos, et me porte rapidement jusqu'à la chambre. Il vide par terre une poubelle remplie de feuilles froissées pour la déposer près du lit où il m'a allongée, au cas où je vomirais. Après un aller-retour dans la salle de bain, il me rafraîchit le visage avec un gant de toilette humide.

- Ça va Coline ? On dirait que tu reprends des couleurs.

- Un peu mieux... Je crois... Je sais pas ce qui m'arrive, je me sens vaseuse. J'ai l'impression d'avoir des fourmis à l'intérieur du corps et que mes doigts et ma langue gonflent et dégonflent au rythme des battements de mon cœur...

- C'est la MDMA ça...

- Pardon ?

- MDMA...

- Tu m'as encore droguée ? Mais qu'est-ce qui tourne pas rond chez toi ?

- Je voulais te faire passer une nuit mémorable.

Voyant que je ne comprends pas, il m'éclaire :

- La MDMA c'est censé décupler le plaisir...

- Je ne veux pas de tes merdes, j'en ai jamais voulu. GHB hier, MDMA aujourd'hui, si tu veux me buter je suis pas contre. Vas-y, mets la dose. Je préfère crever que rester ici.

- J'avoue, j'ai déconné, je pensais que...

- Et comment tu as fait ? Tu étais à côté de moi tout le temps.

Bastien ne me répond pas. Je ne vois qu'une explication :

- Ne me dis pas que c'est Stacey ?

C'est elle qui m'a servi un verre et le mutisme de Bastien valide mon hypothèse. La colère me submerge et s'apprête à déborder quand quelqu'un frappe à la porte.

- Ouais, entre, crie Bastien visiblement soulagé d'être interrompu dans cette dispute annoncée.

FX s'introduit dans la chambre.

- Alors, qu'est-ce qu'il lui arrive ? demande-t-il.

- Elle a pas supporté la MD...

- C'est ça... Et tu la crois ? Putain Baba, tu vois pas qu'elle ment ?

- Va te faire enculer en enfer, je marmonne.

Bastien et FX me regardent d'un air ahuri. En fait je suis moi-même étonnée par le son de ma voix parce que je croyais avoir seulement pensé ce que j'ai dit. FX fronce les sourcils, et se précipite sur moi, mâchoires et poings serrés. Sans réfléchir, je me recroqueville, ferme les yeux et me protège la tête avec mes bras, prête à subir un déferlement de coups. Une seconde passe, puis deux, qui me semblent durer des heures. Le châtiment ne venant pas, j'ouvre un œil et constate que Bastien s'est interposé entre mon bourreau et moi, faisant barrage de son corps.

- Arrête FX, tu vois bien qu'elle est défoncée...

- Je vois surtout qu'elle se fout de ma gueule ! Je vais lui éclater la tête ! Pousse-toi !

- Non. Elle est pas dans son état normal je te dis.

- Putain ça me rend dingue ! Tu la défends ? T'as vu comment elle ose me parler ?

- Écoute, lâche l'affaire pour ce soir. Si à partir de demain elle se permet de te parler comme ça, je te laisserai la punir comme tu veux.

Un sourire sadique complètement flippant illumine le visage de FX.

- Je vais m'en donner à coeur joie, je te le garantis...

Sur ces mots, il sort de la chambre en claquant la porte.

- Je sais pas ce que tu lui as fait, mais il attend qu'une chose, c'est de te faire du mal... me dit Bastien.

- C'est plutôt à cause de ce que je n'ai PAS fait...

- Comment ça ?

- Rien, laisse tomber...

- Mmmh... Je vais prendre une douche. Je veux te trouver nue en revenant. J'ai envie de te sauter, tu peux pas imaginer à quel point.

- Tu peux toujours rêver. Je ne me laisserai pas faire.

- Pas de problème. Va pour une partie de rodéo alors.

Il part dans la salle de bain. Je ne compte pas me déshabiller. Ni faire quoi que ce soit avec lui d'ailleurs. Je dois trouver un moyen d'éviter ce qu'il projette. Pas évident...

Je pourrais essayer de me battre, ou de me débattre plutôt. Mais l'issue est presque certaine. Il est bien plus fort que moi, il gagnerait la partie. Et quand je repense aux derniers rapports que nous avons eus il y a dix ans, me refuser à lui faisait partie d'un jeu qui l'excitait. M'engager sur ce terrain risquerait de l'animer et non le calmer.

J'entends l'eau couler. Je n'ai que peu de temps pour réfléchir. Vite, une idée ! Une idée qui tient la route ! Peut-être me laisser faire ? Me laisser faire et rester inerte, comme un cadavre. Aucun bruit, aucune émotion, de quoi le faire débander rapidement. Mais... S'il m'entend pousser ne serait-ce qu'un couinement, il ne me lâchera pas avant de m'avoir entendu jouir, c'est certain. Il le prendrait comme un défi. Et il me connaît par cœur. En réalité, même si je ne le veux pas, il pourrait réussir à me procurer du plaisir, je le sais. Option un peu risquée finalement.

L'eau de la douche cesse de couler. Merde ! Il va revenir, et je n'ai toujours pas de plan. Si ! C'est bon ! Ce n'est pas l'idée du siècle mais je vais devoir faire avec. Un article de magazine lu chez le dentiste me revient en tête. D'après une étude, les hommes auraient une baisse de libido et de testostérone au contact d'une femme en pleurs. Sans doute un moyen de défense de nos aïeules préhistoriques, des femelles obligées de développer des stratagèmes psychologiques pour contrer l'agressivité des mâles. Bastien n'a jamais supporté de me voir pleurer. Je dois tenter le coup.

Le problème, c'est que je n'ai pas du tout envie de pleurer. J'ai envie de frapper, de hurler, de foutre le feu, mais pas de pleurer.

Alors que Bastien s'approche du lit, nu, je me détourne rapidement et lui présente mon dos. La tête enfouie dans l'oreiller, je simule des sanglots. Il s'assoit à côté de moi et me caresse l'épaule. Mordrait-il à l'hameçon ?

- Coline ?

Je ne réponds pas sinon il comprendrait que je ne pleure pas vraiment. D'un mouvement d'épaule, je repousse sa main. Bastien soupire, puis me dit en m'effleurant le dos :

- Je crève d'envie de te faire du bien... Je suis toujours ton Baba, je peux être doux...

Moi je crève d'envie de me retourner et de lui infliger la plus grosse gifle de sa vie.

- Je vais faire un pas vers toi Coline, ajoute-t-il, je te promets de ne plus jamais te droguer...

Laissant ses paroles en suspens, il semble attendre une réponse de ma part. Des félicitations ? Des remerciements ? J'ai l'impression d'être dans un monde parallèle. Puis il continue :

- Pour te montrer ma bonne foi, je te fous la paix ce soir... Mais demain sera un autre jour...

En silence, Bastien s'étend contre moi, éteint la lumière, et s'endort presque aussitôt.

Souvenirs enchaînésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant