Chapitre 6 : Les Castellan

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Le silence dans l'ascenseur était lourd. Maxence se tenait légèrement en retrait, observant la lumière tamisée des étages se refléter sur les surfaces métalliques, comme un miroir sans âme. Gabriel était à côté de lui, toujours aussi impassible, son regard fixé sur l'écran digital indiquant le prochain étage.

Maxence ne pouvait pas se débarrasser de la question qui tournait dans son esprit depuis l'événement de charité : pourquoi Gabriel et Norah se vouoyaient-ils ?

Il avait d'abord pensé que c'était une simple question de formalisme. Mais au fur et à mesure qu'il avait observé leurs interactions, il en était venu à une conclusion plus troublante. Le vouvoiement entre eux n'était pas qu'une question de distance professionnelle ou de hiérarchie. Il y avait quelque chose d'intrinsèquement... froid. Quelque chose qui allait au-delà de l'image qu'ils projetaient.

L'ascenseur s'arrêta brusquement au dernier étage, et Gabriel, sans un mot, se dirigea vers son bureau. Maxence le suivit, son esprit en proie aux questions qu'il n'osait pas poser.

Le lendemain matin, après une série de réunions tendues avec des partenaires étrangers, Maxence se retrouva seul dans la salle de pause, un café à la main. Le vent s'engouffrait par la fenêtre entrouverte, mais son esprit était agité. Il savait qu'il devait comprendre, comprendre pourquoi il sentait cette distance étrange entre Gabriel et ses frères et sœurs. Pourquoi ce fardeau de non-dits semblait peser sur toute la famille Castellan.

Il prit son courage à deux mains et se rendit dans le bureau de Norah. Celle-ci, comme à son habitude, semblait toujours plus détendue que Gabriel, malgré son rôle de femme d'affaires impitoyable. Elle lui adressa un sourire en apercevant Maxence.

- Maxence, quel plaisir de vous voir ! Vous avez besoin de quelque chose ? 

Maxence se sentit légèrement intimidé, mais il se força à sourire et à être direct.

- En fait, j'avais quelques questions... sur monsieur Castellan. 

Le sourire de Norah s'estompa immédiatement, et elle lui fit signe de s'asseoir. Un signe qu'elle n'avait pas anticipé.

- Sur Gabriel ? Vous le trouvez un peu... difficile à comprendre ?  Demanda-t-elle, comme si elle savait déjà où il voulait en venir.

Maxence hésita, puis répondit, cherchant les mots justes :

- Oui, en quelque sorte. Mais plus que ça... C'est cette relation avec vous et vos frères. Je... je trouve étrange que vous vous vouoyiez tous les deux. Vous êtes... de la même famille, non ? 

Norah haussait un sourcil, comme si cette question n'était pas aussi anodine qu'elle le paraissait.

- Vous êtes curieux, Maxence, dit-elle d'un ton qui mêlait amusement et sérieux. Peut-être un peu trop.

Maxence se sentit mal à l'aise.

- Je ne veux pas être indiscret, mais... 

Norah soupira et se pencha en avant, ses mains croisées sur le bureau.

- C'est une longue histoire, Maxence. Une histoire que Gabriel n'a jamais voulu partager avec quiconque. Et moi, je respecte sa volonté de garder ça privé.

Elle se redressa et fixa Maxence avec une intensité qu'il n'avait pas anticipée.

- Mais puisqu'il semble que vous soyez plus que juste un assistant pour lui, je vais vous dire ceci. Gabriel... a perdu ses parents très jeune. À 11 ans. 

Maxence ouvrit les yeux, choqué.

- Et vous... vous avez été élevés ensemble, tous les quatre, avec vos frères ? 

Norah acquiesça lentement, son regard s'assombrissant.

- Oui, mais ce n'est pas aussi simple que ça. Après la mort de nos parents, Gabriel a pris le rôle de leader, de protecteur. Elias, notre frère cadet, a pris celui du rebelle, et Nick, notre aîné, a toujours été là pour nous stabiliser. Quant à moi, j'ai dû gérer le rôle de la grande sœur... mais à notre manière. C'était difficile. Nous n'avons jamais eu l'occasion de vraiment vivre comme une famille normale. 

Maxence sentait un poids dans l'air, comme si Norah hésitait à poursuivre.

- Gabriel n'a jamais su comment être vraiment proche de nous. C'est un homme qui a appris à faire confiance à personne, sauf à lui-même. La distance qu'il met entre nous, c'est sa façon de se protéger, Maxence. Et nous, nous avons tous trouvé notre propre manière de vivre avec cela. C'est... 

Elle s'interrompit un instant, comme si elle craignait de dire trop. Puis, d'un ton plus doux, elle ajouta :

- C'est une famille compliquée. Peut-être plus que vous ne le réalisez. 

Maxence se sentait bouleversé. Il avait toujours vu Gabriel comme une figure distante et indomptable, mais il venait de comprendre qu'il y avait bien plus de douleur cachée sous cette carapace de glace.

- Mais vous... vous ne vous aimez pas, alors ? 

Norah sourit faiblement, presque tristement.

- Ce n'est pas ça. On s'aime à notre manière, Maxence. Mais l'amour, chez les Castellan, ce n'est jamais simple. 

Le reste de la journée sembla se dérouler dans un flou. Maxence n'arrivait pas à effacer l'image de Gabriel qu'il s'était construite. La dureté, l'indifférence apparente, n'étaient que des masques, des armures contre un passé trop lourd à porter. Il savait qu'il ne pourrait jamais comprendre pleinement ce que Gabriel avait vécu, mais il avait désormais un aperçu du fardeau qu'il portait.

Et cette prise de conscience, cette nouvelle vision de Gabriel, ne faisait qu'ajouter à la complexité de leurs interactions. Maxence se rendait compte qu'il se trouvait de plus en plus impliqué, non seulement dans ses responsabilités professionnelles, mais aussi dans la vie personnelle de cet homme qui, sans le savoir, l'avait déjà marqué d'une manière qu'il ne pourrait pas effacer.

MédusaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant