- Si je tue Vitya, tu m'aideras à faire disparaître le corps ? demande Yuri.
Mila se détourne vivement de la cuisinière, et évite de justesse la planche à repasser qui sert de plan de travail improvisé. Sur celle-ci trônent un micro-ondes, un cuiseur de riz et une machine à café : des trophées de leur chasse aux bonnes affaires après leur aménagement.
- Qu'est-ce qu'il a bien pu faire cette fois ?
- Qu'est-ce qu'il n'a pas fait !
Il n'est pas nécessaire que Yuri explique plus en détail ce qui l'irrite. Mila le connaît suffisamment bien pour savoir interpréter le tourbillon de sentiments enchevêtrés, parfois exagérés, qu'il ne semble jamais capable de manifester qu'à travers des explosions d'irritation boursouflée.
- C'est quoi le souci ? Vous étiez inséparables il y a quelques années, non ?
Mila pose devant Yuri deux assiettes qui contiennent des œufs au plat dorés. Potya, qui dormait paisiblement sur les genoux de son maître, bondit vers la table. Elle envoie une cuillère voler dans les airs. Yuri la rattrape de justesse et garde le chat sous son bras.
- C'était une autre époque, et ça n'a duré qu'une saison.
- Il s'est passé quoi ?
- On s'est éloignés, rien de plus.
- Vraiment ?
Yuri enfonce sa fourchette dans son petit déjeuner et agite machinalement son ustensile. Potya saisit l'occasion, et un morceau d'œuf, qu'elle l'avale aussitôt. Yuri hausse les épaules. Il n'avait de toute façon pas faim.
- C'est la vie. Les gens changent, murmure-t-il.
- Tu sais, cet été pourrait être une chance de repartir à zéro.
- Pourquoi ça ?
- L'été, c'est la liberté ! C'est le seul moment où on peut profiter d'un peu de temps libre. Tu devrais sortir un peu, vivre ta vie, et peut-être même renouer avec lui.
- Le patinage, c'est ma vie. J'ai pas de temps à perdre avec des distractions.
Qu'est-ce que l'été a de si bien ? La chaleur ne fait que transformer l'entraînement en torture. Si Yuri le pouvait, il poignarderait volontiers le soleil dans le dos et le regarderait se vider de son sang, comme le jaune d'œuf qui coule de l'œuf que Potya, satisfaite, vient de dévorer.
Son téléphone vibre dans sa poche, l'arrachant à son éblouissement face à la lumière étouffante du jour. Il écarte son assiette, passe son pouce sur l'écran et consulte le message.
- Ah, laisse tomber Otabek pour l'instant ! Il faut qu'on paie le loyer. Le proprio n'arrête pas de me harceler.
-Mmm... Tu pourras pas fuir Otabek éternellement, tu sais.
- Ouais, on verra ça !
Yuri se lève d'un bond. Son tabouret grince contre le lino imitation bois, et Potya, surprise, se précipite sous la table. Il saisit ses baskets, usées et confortables, placées à leur emplacement habituel - parfait pour une sortie rapide - près de la porte.
- À plus, Baba ! Zappe pas de payer !
Le soleil perce les nuages blancs, les transformant en une dentelle semblable à celle des napperons dans la cuisine de Nikolaï, et le béton est déjà brûlant, malgré l'heure matinale. Hasetsu est imprégnée d'une énergie vibrante, différente des précédentes visites de Yuri. Une énergie qu'il attribue au charisme de Viktor et à l'excitation autour des nouvelles recrues de l'équipe de patinage.
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Scar-Crossed Lovers
Hayran KurguTout le monde a une âme sœur. Tout le monde. Le jour de ses seize ans, quand le Cœur-Signe de Yuri est apparu dans le creux de son coude, il s'est fait une promesse : il ne fera jamais partie de ceux assez idiots pour se laisser prendre à ce piège. ...