Partie 3 *** À REBROUSSE TEMPS - ◔5mn

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On peut voir qu'à un moment, la vie s'est battue pour reprendre ses droits. Les fleurs retournent en terre et tout se recouvre d'un résidu orange. Tout demeure sans vie pendant un long moment.

Puis, la boue orange se désaccumule pour revenir progressivement au jour où elle est apparue, et a commencé à tomber du ciel, étouffant la nature et le vivant. Sous la couche qui disparaît, des cadavres d'animaux se recomposent. Ils se sont transformés en terreau sur lesquels, plus tard, la vie allait rejaillir.

C'était bien avant que la biche ne soit faonne... avant que les anciens de sa harde ne foulent la terre, quand le monde se mourait de la folie des hommes.

Peu à peu, les plantes mortes retournent à la vie, les animaux aussi. Mais ils semblent fuir le danger qui avance à reculons, s'abattant du ciel. Il n'a pas toujours été gris orangé, jadis, il était bleu et rayonnant.

La carcasse de l'oiseau de fer qui gisait au bout de la rue, là où les bâtiments sont démolis, se reconstruit. Puis, elle s'embrase avant de retourner vers le firmament dans un crash inversé. L'avion plane de nouveau... mais à l'envers.

***

Des restes d'oiseaux se recomposent, se remplument, puis remontent vers le ciel. Ils volent à nouveau, comme jadis. Les corps humains se refaçonnent : les organes, la chair, la peau, rongés par l'acidité de l'air, se fixent aux os.

La brume orange s'éclaircit à mesure que tout se remet en place, tel que le monde l'était jadis.

La biche entend soudain des voix lointaines, puis plus proches. La silhouette au sol se redresse sur ses genoux, ravale son vomi et se relève. Elle tousse et recrache cette vapeur orange qui lui brûle les poumons.

La brume recule et recule encore... mais elle est déjà là.

L'homme debout tend la main vers la femme et son bébé, tous deux agonisant dans la voiture. Puis, il retourne au coffre d'où il sort les bagages. Il voudrait échapper à cet enfer... La biche comprend alors que, d'une certaine façon, tout cela n'est qu'un souvenir qui avance à rebrousse-temps.

Au faîte de la maison bleue, un oculus veille, semblable à celui du dessin dans la salle de classe. Derrière, une fillette assiste à la scène, mais ce n'est qu'un autre fantôme, qui disparaît aussitôt.

***

Les personnes qui tentaient de fuir en voiture pour échapper à la brume courent en arrière. Une porte s'ouvre derrière eux. Des voix, restées à l'intérieur, leur crient de ne pas partir... mais les fuyards ne font qu'à leur tête. C'est un acte désespéré.

Déjà, l'atmosphère est saturée d'orange, l'air devient irrespirable.

Tout continue à reculons, les voix sont inversées, mais on devine leurs mots. Le groupe de survivants retourne dans la maison.

La biche décide alors de les suivre. Passant les marches de l'entrée, elle se retrouve dans le vestibule.

On peut voir la maison telle qu'elle est aujourd'hui, tout en percevant ce qu'elle était autrefois ; les deux réalités se superposent aux yeux de la biche.

La porte est barricadée à nouveau et tous retournent au salon. L'agitation est à son comble : ça crie, ça hurle, ça pleure. Les invités sont pris de panique. Puis le calme revient, lourd et paralysant, en même temps que la stupeur.

Toute l'habitation est calfeutrée de l'intérieur. Ils y survivent depuis des jours, depuis l'arrivée du phénomène. Certains sont angoissés, d'autres se terrent dans un silence pesant. Les heures passent, marquées par des échanges emplis d'inquiétude, de tristesse et de résignation.

Tous portent sur leurs visages les stigmates d'un mal orange qui les ronge lentement.

***

Par amour, il a fallu prendre des décisions extrêmes...

Une femme reste prostrée, tenant une poupée dans ses bras, symbole d'un enfant qu'on a ''laissé'' partir. Tandis que l'autre la regarde, serrant son bébé contre elle... Elle, n'a pas pu s'y résoudre.

Des enfants réapparaissent, ceux qui n'étaient plus là... Un garçon, une fillette. Qui sont-ils ?

On se regroupe entre proches, créant un semblant de normalité dans de vains espoirs.

Dans le salon, la télé est allumée. La voix qui en sort parle d'un nuage mortel qui se répand. Partout, des gens succombent par milliers... On y évoque une riposte totale, des attentats, une guerre mondiale.

Entre deux phrases chancelantes, la fin du monde est prononcée.

"Pourtant, le monde est toujours là ?"

Le bruit des volatiles qui tombent sur la maison est effrayant. Puis, un silence lourd envahit la pièce, empli de terreur et de sidération.

La biche assiste à cette scène, détachée de tout ce qui se joue, mais semblant comprendre la gravité de la situation.

Elle observe chacun de ces êtres qui se regroupent, se serrent les uns contre les autres comme des lapins à l'approche de l'hiver. Il règne un temps particulier, suspendu, où les vies pendent à l'éventualité d'un miracle qui ne viendra pas.

***

Arrive le moment où l'on retire les bâches, où l'on déchire les scotchs des fenêtres, où la maison décalfeutrée respirait encore.

Parmi le groupe, il y a ce garçon que la biche reconnaît : c'est lui, la silhouette vaporeuse, celle qui l'a conduite jusqu'ici. Mais à cet instant, il est... (était ?) encore vivant.

À côté de lui, sur le canapé, est assise la fille de l'oculus. Ils se tiennent par la main, les regards tristes, tandis que les adultes s'agitent autour d'eux. À l'écran du salon, une journaliste, la voix tremblante, présente des images de chaos se répandant partout dans le monde. La brume orange étouffe tout sur son passage... Leurs visages d'enfants sont marbrés de ces lignes qui indiquent clairement la contamination avancée...

Un frisson parcourt l'échine de la biche, comme pour lui répondre, le temps semble alors reprendre son cours, brièvement, avant de basculer à nouveau.

La présentatrice, secouée par des sanglots, prend son visage entre ses mains et prononce ces derniers mots :

« Mon Dieu, ils nous ont condamnés avec leurs maudites guerres ! Qu'ils soient maudits jusqu'à la fin des siècles ! »

Puis, le temps se rembobine encore. La petite fille repart en arrière, remontant l'escalier avec le garçon.

Le couple avec le bébé quitte la maison. On leur ouvre. Ils frappent à la porte, tremblants. Un coup de sonnette. Ensuite la voiture dans l'allée s'éloigne à reculons et disparaît.

Au loin, la première vague de brume orange recule, elle aussi, et finit par s'estomper. A-t-elle jamais existé ?

GA - Un xylophone sous la pluie - ◔25mnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant