Chapitre 1 - Matthew

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Le claquement discret du réveil m'arrache à un rêve flou. Pas de mélodie joyeuse ou d'alarme tonitruante, juste un « bip » court et pragmatique. Il est six heures. Mon corps proteste un instant, mais c'est la règle : debout avant que Camden ne se réveille. La ville n'est belle qu'au petit matin, quand les rues sont encore désertes. Le reste de la journée, les touristes défilent avec leurs appareils photo et leurs enfants criards. Je préfère éviter ça.

Je me lève, pieds nus sur le parquet un peu froid, et attrape la tasse en céramique posée sur ma table de chevet. Je l'ai depuis mes études, et elle porte encore l'inscription Coffee is a hug in a mug, même si les lettres sont à moitié effacées. Direction la cuisine.

Le café coule lentement, diffusant une odeur rassurante qui chasse les dernières traces de sommeil. Je me tiens devant la fenêtre, contemplant la lumière du matin qui se faufile entre les toits des maisons. Le ciel est pâle, comme s'il hésitait entre le bleu et le gris, et l'air est encore frais. Mon regard glisse vers les pavés de la rue principale, où un chat traverse paresseusement.

Après quelques gorgées de café, je prends une douche rapide, m'habille sans grande réflexion – un pull gris, un jean sombre, des chaussures confortables. Rien de trop voyant. Juste assez pour être propre et présentable. Une fois prêt, je remplis mon sac avec les carnets de notes que j'utilise pour la librairie et mon exemplaire un peu usé de Gatsby le Magnifique. Pas besoin de beaucoup plus. La porte de mon appartement claque doucement derrière moi, et je descends les quelques marches qui mènent à la rue.

Le matin, Camden est une peinture paisible, chaque détail soigneusement brossé dans des tons pastel. Le port est encore enveloppé de brume, les bateaux tanguent doucement, et les ruelles pavées sont désertes, baignées dans une lumière grise et tamisée. Mon café tiède dans une main, mon sac sur l'épaule, je savoure ces instants où le silence règne encore.

Ma librairie, Windswept Pages, est nichée dans un recoin tranquille, presque cachée, comme un secret bien gardé. J'aime penser qu'elle reflète ma personnalité : discrète, sans éclat particulier, mais pleine de substance pour ceux qui savent où chercher. La peinture de la devanture est un peu écaillée, les lettres blanches légèrement effacées, mais je n'ai jamais trouvé le courage ou l'envie de les refaire. Ce n'est pas parfait, mais ça me va. Je pousse la porte, et la petite cloche suspendue au-dessus tinte doucement. À l'intérieur, tout est calme.

Enfin... presque.

Depuis deux semaines, ce calme est constamment perturbé. Le local voisin, longtemps abandonné et parfaitement silencieux, est en train de renaître. Pas comme une boutique discrète ou un atelier tranquille. Non. Une pâtisserie.

Les travaux ont commencé tôt, bien trop tôt à mon goût, et ils semblent interminables. Dès l'instant où j'ouvre la librairie, le vacarme débute. Des coups de marteau réguliers, le grincement des scies électriques, les éclats de voix des ouvriers. Ce matin, j'ai à peine eu le temps de balayer les premières traces de poussière que le bruit a déjà envahi l'espace. Il se répercute contre les murs, amplifié par la structure en bois de la boutique.

Je serre les dents et essaie de me concentrer sur ma routine. Ranger les livres, dépoussiérer les étagères, réorganiser les piles thématiques sur le comptoir. Mais chaque bruit semble presque moquer mes tentatives de rester imperturbable.

À midi, la poussière commence à se glisser dans la librairie. Elle s'insinue par les fissures des fenêtres et sous la porte, recouvrant le plancher d'un voile grisâtre que je dois nettoyer trois fois par jour. J'ai même dû déplacer la table d'exposition près de la vitre pour protéger les couvertures des livres.

Et puis, il y a les clients. Enfin, ceux qui osent encore venir. Ce matin, Mrs. Henderson, fidèle habituée, est arrivée avec son sourire habituel, mais elle a rapidement levé les yeux vers le plafond en entendant un énorme fracas.

— On dirait qu'ils sont en train de démonter un mur, dit-elle en secouant la tête. Vous savez ce qu'ils préparent là-bas ?

— Une pâtisserie, dis-je en retenant un soupir.

Elle hausse les sourcils, visiblement intriguée.

— Oh, vraiment ? Une pâtisserie dans notre petit coin ? Ça pourrait être intéressant.

— Mm. Je ne partage pas son enthousiasme.

Elle part, mais d'autres clients ne s'attardent même pas. Un jeune couple entre, observe brièvement les étagères, mais le bruit assourdissant d'un marteau piqueur les pousse rapidement vers la sortie. Je les regarde partir avec un mélange d'irritation et de résignation. Si cela continue, je risque de passer la journée sans voir âme qui vive.

À l'heure du déjeuner, le chantier s'anime encore plus. Le sol vibre sous mes pieds, et l'odeur de peinture fraîche s'ajoute à la poussière. J'essaie de me réfugier dans l'arrière-boutique, mon sandwich à la main, mais le bruit semble me suivre. Même en lisant Gatsby le Magnifique, un roman qui m'a toujours apaisé, je n'arrive pas à ignorer les perturbations.

Quand je retourne dans la boutique, je remarque un nouvel ajout sur la façade du local voisin : une banderole qui annonce fièrement l'ouverture prochaine de L'Éclaircie. Le nom est inscrit en lettres élégantes, comme si cette boutique allait révolutionner Camden. Je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe de frustration. Est-ce vraiment nécessaire ? Camden a toujours eu son charme dans sa simplicité.

Je me demande combien de temps encore cela va durer. Les travaux. La poussière. Le bruit. Je suis déjà fatigué de cette nouveauté, et la pâtisserie n'a même pas encore ouvert. Je me replonge dans mon travail, essayant de retrouver un semblant d'ordre dans ce chaos.

Mais alors que je range une pile de romans sur le comptoir, un nouveau coup de marteau, plus fort, fait vibrer les étagères et déséquilibre une pile de livres. Je rattrape de justesse un exemplaire avant qu'il ne touche le sol.

— Parfait, murmuré-je avec un sarcasme qui me surprend moi-même. Exactement ce qu'il manquait.

Je regarde à travers la vitrine. Les ouvriers s'affairent, et l'un d'eux semble donner des instructions en agitant les bras. Ils ont l'air satisfaits de leur chaos. Je secoue la tête et me détourne, espérant que demain sera plus calme. Mais je sais que ce n'est qu'un vœu pieux.

Un été à CamdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant