Chapitre 10 - Romain

1 1 0
                                    

Le soleil de l'après-midi baigne les pavés de Camden d'une lumière dorée alors que je traverse la rue en direction de Windswept Pages. Dans une main, une enveloppe contenant les détails de notre projet, et dans l'autre, une boîte soigneusement préparée, abritant ma dernière création : une pâtisserie inspirée par Gatsby le Magnifique. Je me suis réveillé tôt ce matin pour la finaliser, et maintenant, l'idée de la présenter à Matthew me remplit d'une étrange excitation.

Hier, notre rencontre impromptue dans ma boutique m'a laissé perplexe. Je ne pensais pas qu'il verrait cet espace si personnel, encore moins dans ces conditions. Et il faut dire qu'avec du recul, m'exhiber en caleçon devant lui n'était peut être pas la meilleure idée que j'ai eu pour démarrer une collaboration. Alors aujourd'hui, je suis déterminé à dissiper toute gêne et à ramener notre projet sur des rails plus confortables.

En poussant la porte de la librairie, la cloche tinte doucement. Matthew est derrière son comptoir, comme à son habitude, concentré sur un livre qu'il tient entre ses mains. Lorsqu'il lève les yeux, il semble surpris, mais son expression reste contrôlée, presque impénétrable.

— Bonjour, Romain, dit-il d'un ton calme en fermant son livre avec soin.

— Bonjour, Matthew, dis-je avec un sourire. Je viens finaliser notre accord pour les thés littéraires. Mais d'abord, permettez-moi de m'excuser pour hier.

Il ajuste ses lunettes mais son regard reste fuyant, comme si croiser mon regard allait le foudroyer.

— Il n'y a pas de quoi. Vous n'avez rien fait de mal.

— Peut-être, mais je ne voulais pas que vous vous sentiez mal à l'aise, ajouté-je. Ma situation n'est pas idéale, je le reconnais. Mon futur appartement est en travaux, et je n'aurai les clés qu'à la fin du mois. En attendant, je fais ce que je peux.

Il semble surpris, et une lueur d'hésitation traverse son regard :

— Je vois. Ce n'est pas... trop difficile ?

— Rien d'insurmontable, dis-je avec un haussement d'épaules. Je suis habitué aux ajustements.

Un court silence s'installe, que je brise en posant la boîte sur le comptoir.

— J'ai préparé quelque chose pour vous montrer à quoi pourraient ressembler nos soirées. Une pâtisserie inspirée de Gatsby le Magnifique.

Sa curiosité est piquée, bien qu'il essaie de la dissimuler. Il dénoue lentement le ruban entourant la boîte et soulève le couvercle. À l'intérieur, une pâtisserie élégante repose sur un fond de papier doré. Une base de biscuit croquant soutient une mousse légère au champagne, rehaussée d'un glaçage brillant couleur émeraude et décorée d'un motif art déco en chocolat noir.

— C'est... Impressionnant, murmure-t-il après un instant.

— Merci. Je ne peux m'empêcher de sourire en voyant son expression, même s'il tente de garder son air impassible.

— J'ai pensé que Gatsby le Magnifique méritait quelque chose de raffiné et de légèrement décadent. Le champagne pour le luxe, le vert émeraude pour l'illusion de l'espoir... et une touche de chocolat pour l'amertume de la réalité.

Il examine la pâtisserie avec attention, comme s'il essayait de décrypter chaque détail. Puis il relève les yeux vers moi.

— Vous réfléchissez beaucoup à ce que vous faites.

— Toujours, dis-je. Et je pense que ce niveau de détail peut vraiment faire la différence dans nos soirées.

Nous nous installons à une table près de la fenêtre pour discuter des détails de notre collaboration. L'enveloppe contient une ébauche du plan : une soirée mensuelle avec une sélection de livres et des desserts inspirés. Je propose d'ajouter une dégustation thématique en début de soirée, pour donner aux invités un avant-goût de l'expérience.

Matthew lit chaque ligne attentivement, ses yeux passant sur le document avec une précision presque déconcertante. Je l'observe en silence, notant sa concentration et sa manière de froncer légèrement les sourcils lorsqu'il réfléchit. Il est méthodique, mais il ne cherche pas à rejeter mes idées. Pas complètement, du moins.

— Je suis d'accord sur la plupart des points, dit-il enfin, en levant les yeux. Mais je veux que ces soirées restent... discrètes. Intimistes. Je ne veux pas que cela devienne un événement bruyant ou ostentatoire.

— Entendu, dis-je en hochant la tête. Je ferai en sorte que cela reflète l'ambiance de votre librairie. Élégant et calme.

Il acquiesce, semblant satisfait.

— Très bien.

Alors que nous finalisons les derniers détails, je dépose ma signature sur le document et lui tends le stylo. Il hésite un instant avant de signer à son tour, mais lorsqu'il relève la tête, son expression s'est adoucie.

— Merci, Matthew.

— Merci à vous, Romain, répond-il, son ton légèrement plus chaleureux qu'au début de notre rencontre.

Je me lève et rassemble les papiers.

— Je suis content que nous ayons trouvé un accord. Et, si je puis me permettre, merci d'avoir été ouvert à cette collaboration.

Il ajuste ses lunettes, un geste presque nerveux.

— Vous aviez de bonnes idées. Et il semble que vous soyez... très engagé.

Je souris.

— Toujours. Quand je crois en quelque chose, je fais de mon mieux pour que cela fonctionne.

Il esquisse un sourire discret, qui me semble sincère, avant de se lever.

— Alors, nous avons du travail devant nous. Bonne journée, Romain.

— À bientôt, Matthew, dis-je en quittant la boutique.

Alors que la porte de la librairie se referme derrière moi, je savoure le léger progrès que nous avons fait. Cet homme est un mystère, mais aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir percé une première fissure dans son mur. Et c'est un début prometteur.

Un été à CamdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant