Il y a des jours où je me demande pourquoi j'ai choisi une ville comme Camden. Pas parce qu'elle est trop petite ou trop calme, c'est précisément ce qui m'a attiré ici, mais parce que certaines personnes y sont aussi fermées qu'une huître face à un couteau. Matthew Foster, mon cher voisin libraire, en est un exemple parfait.
Hier, j'ai traversé la rue avec toute la bonne volonté du monde, le sourire aux lèvres, prêt à me présenter et à ouvrir un pont entre nos deux commerces. Je me suis imaginé qu'il me renverrait un sourire, qu'il serait peut-être intrigué par ma pâtisserie ou qu'il me demanderait pourquoi j'avais choisi Camden. Bref, un échange humain normal. Ce que j'ai eu à la place, c'est un mur froid et poli.
Je ne peux pas m'empêcher de repenser à son regard distant et à sa posture raide. Il était cordial, bien sûr, mais c'était le genre de cordialité qu'on réserve aux vendeurs d'aspirateurs. Pas un sourire sincère, pas une vraie étincelle d'intérêt. Je ne suis pas du genre à abandonner facilement, mais ce type me donne l'impression qu'il a dressé un rempart autour de lui et qu'il n'a aucune intention de le laisser tomber.
Ce matin, je me tiens dans ma pâtisserie, regardant la rue à travers la vitrine. Camden s'éveille doucement, les premiers clients défilent, et L'Éclaircie commence à se remplir. La lumière du matin illumine les vitrines où mes créations brillent comme des joyaux : éclairs au caramel beurre salé, choux à la crème vanillée, tartes aux fruits rouges garnies de framboises fraîches et de myrtilles. L'odeur de croissants chauds et de pains au chocolat emplit l'air, se mêlant à celle, plus subtile, de café fraîchement moulu.
Mes clients arrivent avec des sourires, des compliments, des regards émerveillés. Une femme me demande si je peux préparer un gâteau d'anniversaire pour son fils, un jeune homme s'émerveille devant les éclairs en disant que ça lui rappelle un voyage en France. Ce genre d'interaction me nourrit, me rappelle pourquoi j'ai choisi cette voie. Mais il y a toujours ce poids au fond de mon esprit, ce petit sentiment d'inachevé. Mon voisin.
Matthew m'intrigue. Pas parce qu'il est chaleureux ou ouvert, loin de là, mais parce qu'il est tout l'inverse. Un mystère enveloppé dans des couches de froideur et de politesse distante. Et moi, je n'aime pas les mystères non résolus. Je me promets donc de faire un geste aujourd'hui. Pas une grande déclaration, juste une tentative pour briser la glace. Après tout, qui peut résister à une boîte de pâtisseries ?
Je passe les vingt minutes suivantes à préparer une sélection qui, selon moi, devrait faire fondre même le plus dur des cœurs. Deux éclairs au chocolat noir, parfaitement glacés. Un croissant aux amandes doré à la perfection. Une tartelette aux fruits rouges et une autre au citron, chacune garnie avec précision. Et enfin, un chou craquelin fourré à la vanille de Madagascar. Je les dispose dans une boîte en carton bleu pastel, avec le logo de L'Éclaircie soigneusement estampillé sur le couvercle.
Quand tout est prêt, je prends une profonde inspiration, ajuste mon tablier, et franchis la rue. À travers la vitre de Windswept Pages, je vois Matthew derrière son comptoir, penché sur un livre qu'il semble ranger. Il a l'air concentré, ou peut-être simplement désintéressé par tout ce qui se passe en dehors de sa librairie.
La cloche tinte lorsque j'entre, et il lève les yeux vers moi. Son expression passe rapidement de la surprise à une sorte de neutralité prudente.
— Bonjour, dis-je avec mon sourire le plus chaleureux. Je ne voulais pas déranger, mais je me suis dit que je pourrais vous apporter un petit cadeau.
Je pose la boîte sur le comptoir, en espérant que le simple fait de voir ces pâtisseries suffira à briser la barrière entre nous. Mais au lieu de sourire ou de montrer un quelconque enthousiasme, Matthew fronce légèrement les sourcils.
— Oh, c'est... gentil, dit-il, mais son ton est hésitant, presque méfiant. Il regarde la boîte comme si elle pouvait contenir autre chose que des pâtisseries. Peut-être une bombe.
— Ce n'est rien, vraiment, dis-je en riant doucement, essayant de détendre l'atmosphère. Juste un petit assortiment pour que vous puissiez goûter ce que je fais. Je me suis dit que c'était la moindre des choses entre voisins.
Il ouvre le couvercle avec précaution, et son regard se pose sur les pâtisseries. Pendant une fraction de seconde, je crois voir une lueur d'intérêt dans ses yeux, mais elle disparaît presque aussitôt. Il referme la boîte et la pousse légèrement sur le côté, comme pour dire qu'il n'a pas le temps de s'en occuper maintenant.
— Merci, dit-il, mais son ton reste distant. C'est très aimable de votre part.
Je reste un moment silencieux, ne sachant pas exactement comment interpréter cette réaction. Les pâtisseries, pour moi, sont un langage universel, une façon de créer des liens. Mais apparemment, Matthew parle une autre langue.
— Vous avez un bel endroit ici, dis-je, tentant un autre angle. J'adore l'odeur des livres. Ça se marie bien avec celle des croissants, non ?
Il esquisse un sourire – enfin, je crois que c'est un sourire. Un coin de ses lèvres se soulève légèrement, mais c'est tout.
— Peut-être.
Je sens que je ne vais pas obtenir grand-chose de plus aujourd'hui. Alors je me redresse, toujours souriant, et tends la main vers lui.
— Eh bien, j'espère que vous apprécierez. Si jamais vous voulez essayer quelque chose de spécifique, n'hésitez pas à venir me voir.
Il serre ma main brièvement, son contact aussi rapide que son sourire.
— Merci, répète-t-il.
La cloche tinte à nouveau alors que je sors de sa librairie. De retour dans ma pâtisserie, je me tiens un moment derrière le comptoir, réfléchissant à cet échange. Ce n'était pas un échec, exactement, mais ce n'était pas non plus une victoire. Matthew est une énigme, et je commence à me demander si j'ai fait une erreur en pensant que la douceur pouvait percer sa carapace.
Mais je ne suis pas du genre à abandonner. Je sais que cela prendra du temps. Camden est une petite ville, et je suis là pour rester. Alors, tôt ou tard, Matthew devra bien s'habituer à moi.
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Un été à Camden
Roman d'amourParticipe au concours New Romance sur Fyctia : https://www.fyctia.com/stories/un-ete-a-camden --------- Dans la charmante petite ville côtière de Camden, Maine, Matthew FOSTER mène une vie discrète à la tête de Windswept Pages, une librairie indépen...