Un été à Camden

Chapitre 8 - Romain

La cloche de la porte retentit tandis que je sors de L'Éclaircie, un plateau de croissants dans les mains. Le soleil est déjà haut, et l'air de Camden, légèrement salé, me remplit de courage. Aujourd'hui, je vais parler à Matthew. Depuis que je suis arrivé, ses réactions sont restées un mystère, et malgré mes efforts pour briser la glace, je sens qu'il garde ses distances. Mais cette fois, j'ai un plan.

Ces derniers jours, plusieurs clients m'ont mentionné qu'il serait intéressant de faire quelque chose ensemble, Windswept Pages et moi. Livres et pâtisseries, littérature et douceurs et autres joyeusetés du genre. Une idée que j'ai trouvée immédiatement séduisante. Après tout, les livres et les desserts partagent une chose essentielle : ils réconfortent. Ils créent des moments à savourer.

Je me tiens devant la vitrine de la librairie, réajustant le col de ma chemise blanche d'une main et jouant l'équilibriste de l'autre. À l'intérieur, Matthew est derrière son comptoir, comme toujours, penché sur un livre. Il est concentré, presque figé, comme s'il appartenait à un autre temps. Je prends une profonde inspiration avant d'ouvrir la porte.

La cloche résonne, et il lève les yeux. Son regard passe brièvement sur le plateau que je tiens avant de revenir sur mon visage. Il semble surpris, et peut-être un peu agacé.

— Bonjour, Matthew, dis-je avec mon sourire le plus chaleureux. J'espère que je ne dérange pas.

Il referme le livre qu'il tenait et se redresse lentement.

— Romain. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

Son ton est poli, mais distant. Ce n'est pas grave. Je suis là pour changer ça.

— En fait, c'est ce que je peux faire pour vous, dis-je en posant délicatement le plateau sur son comptoir. J'ai apporté des croissants frais. Mais ce n'est pas seulement pour vous nourrir, promis.

Il arque un sourcil, clairement intrigué malgré lui.

— D'accord. Continuez.

Je prends une profonde inspiration.

— J'ai eu une idée. Vous savez, beaucoup de clients parlent de nos commerces comme d'un duo parfait. Les livres et les pâtisseries, c'est une combinaison naturelle. Alors je me disais... pourquoi ne pas organiser un événement ensemble ? Une soirée littéraire, par exemple, où je pourrais proposer des desserts inspirés par des romans.

Il me regarde un instant, ses yeux verts scrutant mon visage comme s'il cherchait à déceler mes intentions. Puis il croise les bras.

— Une soirée littéraire avec des desserts ?

— Exactement ! Je m'emballe un peu, oubliant presque où je suis. Imaginez : un éclair inspiré de Gatsby le Magnifique, une tartelette représentant Les Hauts de Hurlevent, ou même des petits choux pour accompagner une lecture de Jane Austen. Ce serait une expérience unique.

Je m'arrête, espérant une réaction en lui sortant des références littéraires surtout que j'avais repéré Gatsby le Magnifique sur son comptoir la dernière fois que je suis venu. Mais Matthew reste silencieux, son visage fermé. Je vois à peine un tic dans sa mâchoire avant qu'il ne réponde.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

Sa réponse est comme un coup de poing.

— Pourquoi pas ? demandai-je, essayant de garder mon sourire. C'est une belle opportunité d'attirer plus de monde dans nos commerces. Vos livres et mes desserts, c'est une association gagnante.

Il secoue la tête.

— Nos commerces n'ont pas besoin de se mélanger. Vous avez votre pâtisserie, j'ai ma librairie. Nos clients ne viennent pas pour la même chose.

— Justement, insisté-je. C'est ce qui rend l'idée intéressante. On pourrait créer quelque chose de nouveau. Une soirée spéciale, rien de plus.

Mais il ne bouge pas. Son regard reste froid, presque défensif. Cet homme est à l'opposé de mes standards de beauté habituels. J'ai pour habitude d'être attiré par les sportifs plein de vie. Mais ce Matthew a un flegme et un charisme qui ne laisse pas indifférent. Mais reprends toi Romain, tu n'es pas là pour admirer le propriétaire mais pour développer ton commerce !

— Romain, je suis sûr que vos intentions sont bonnes, mais ce n'est pas mon style. Je préfère que ma librairie reste... simple.

Simple. Le mot tombe comme une pierre. Parce que ma patisserie ne l'est pas ? il me trouve exubérant ? Je me tiens là, un plateau de croissants entre nous, et je réalise qu'il ne me voit pas comme un allié, mais comme une intrusion. Mon enthousiasme, ma créativité, tout ce que je voulais partager... Rien de tout cela ne l'intéresse.

Je fais un pas en arrière, masquant ma déception avec un sourire forcé.

— Très bien. Je comprends.

Il hoche la tête, visiblement soulagé.

— Merci quand même de l'avoir proposé.

La conversation est terminée, et je n'ai pas envie de m'attarder. Je récupère mon plateau, le poids des croissants soudain beaucoup plus lourd. Je sors de la librairie sans un mot de plus, la cloche retentissant derrière moi.

De retour dans ma pâtisserie, je m'effondre sur un tabouret, posant le plateau sur le comptoir. Je pensais que Camden serait différente, que les gens ici seraient plus ouverts, plus prêts à accueillir de nouvelles idées. Mais peut-être que Matthew Foster est simplement une exception, un homme figé dans son monde bien ordonné, où tout ce qui est nouveau est une menace.

Je passe le reste de la journée à travailler en silence, mes gestes automatiques. Mais au fond de moi, une pensée persiste : pourquoi cela me blesse-t-il autant ? Ce n'est qu'un refus, rien de plus. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que Matthew, avec son air distant et ses refus catégoriques, me renvoie à des souvenirs que je préférerais oublier. Ceux où mes idées étaient constamment rejetées, mes efforts jamais suffisants.

En fermant la boutique ce soir-là, je regarde de l'autre côté de la rue. La lumière de Windswept Pages est encore allumée, une lueur douce et chaude. Je me demande si Matthew réfléchit à ma proposition, ou s'il l'a déjà oubliée.

Une part de moi veut abandonner, accepter qu'il est simplement... comme ça. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.

Et si je veux le convaincre, je vais devoir être patient. Très patient.