La boîte est toujours là, posée sur le comptoir de Windswept Pages. Bleue pastel, ornée de lettres dorées qui forment le nom de L'Éclaircie. Élégante, presque trop sophistiquée pour ma librairie vieillotte, avec ses rayonnages en bois fatigués et son tapis élimé près de la porte. Elle semble briller, défiant mon regard à chaque fois que je passe à proximité. Cela fait des heures qu'elle me nargue.
Romain Perrault. Je répète son nom dans ma tête comme une formule incantatoire, espérant que cela m'aidera à percer ce mystère qu'il incarne. Qui traverse une rue avec un sourire éclatant, un accent à couper au couteau, et une boîte de pâtisseries pour faire la paix ? Ce genre de personne n'existe que dans les comédies romantiques, pas dans la vraie vie. Et pourtant, cette boîte est bien réelle. Trop réelle.
Je soupire et décide qu'il est temps de mettre fin à cette mascarade. J'ouvre le couvercle doucement, comme si je m'attendais à ce qu'un mécanisme d'autodestruction se déclenche. À l'intérieur, six pâtisseries impeccablement alignées. Des éclairs au chocolat noir avec un glaçage brillant comme un miroir, des tartelettes aux fruits rouges surmontées de framboises parfaites, un croissant doré à la perfection et deux choux craquelins garnis d'une crème à la vanille qui semble onctueuse rien qu'à la vue. L'odeur qui s'en échappe est un mélange enivrant de beurre, de sucre et de fruits frais.
Mon estomac grogne, me trahissant. Je referme le couvercle d'un geste sec. Pas question de céder.
Je passe le reste de la matinée à m'occuper des nouvelles livraisons. Une pile de romans policiers que j'étiquette consciencieusement, une rangée de classiques à réorganiser pour attirer l'œil des clients. Mais la boîte me distrait, sa présence pesant comme un rappel constant de ce que je tente d'ignorer.
À midi, je capitule. Peut-être que si je goûte une seule pâtisserie, juste une, je pourrai mettre fin à cette obsession stupide. Je choisis un éclair, pensant qu'il s'agit là du choix le moins risqué. Je m'attends à ce qu'il soit bon, après tout, tout Camden ne parle que des créations de Romain, mais alors là.
Dès la première bouchée, je comprends que je suis fichu. La pâte est légère, presque aérienne, et la crème au chocolat noir est un équilibre parfait entre douceur et amertume. Ce n'est pas juste bon. C'est transcendant. Je ferme les yeux un instant, savourant la richesse du chocolat qui fond sur ma langue. Et bien sûr, cela me met encore plus en colère.
— Génial, murmuré-je en jetant un coup d'œil à la boîte. En plus d'être agaçant, monsieur est doué.
L'après-midi s'écoule lentement. Chaque fois qu'un client entre, je m'efforce de me concentrer sur leurs besoins, mais mes pensées reviennent sans cesse à cette boîte. Mrs. Henderson passe acheter un nouveau roman policier et ne peut s'empêcher de me questionner.
— Vous avez goûté, n'est-ce pas ? demande-t-elle avec un sourire complice en jetant un coup d'œil vers la boîte. Alors, qu'en pensez-vous ?
— C'est... correct, dis-je en haussant les épaules, feignant l'indifférence.
Elle rit doucement.
— Correct ? Vous êtes difficile à impressionner, Matthew Foster.
Je n'ai pas la force de lui répondre. La vérité, c'est que ces pâtisseries m'ont déjà conquis, et je déteste l'admettre. Elles sont plus qu'un simple dessert. Elles racontent une histoire, une attention portée au détail, une passion palpable. Mais tout ça, je ne le dirai pas à voix haute.
Le lendemain matin, je me tiens à la fenêtre de ma librairie. La rue est encore vide, baignée dans une lumière douce. Romain est déjà là, son tablier impeccablement noué autour de la taille, arrangeant les chaises devant sa vitrine. Ses gestes sont fluides, presque chorégraphiés, comme s'il dansait au rythme de son propre monde.
Je ne veux pas regarder, mais je ne peux pas m'en empêcher. Il a quelque chose de magnétique, un mélange de confiance et de légèreté. Je m'étonne de remarquer les détails : la manière dont il repousse une mèche de cheveux de son front, l'angle précis sous lequel il place chaque chaise. Il s'arrête un instant, contemplant son travail, un sourire satisfait sur le visage.
C'est la première fois que je le vois sans qu'il ne m'adresse la parole. Juste lui, dans son élément. Et à ma grande surprise, je ne trouve rien à critiquer. En fait, il y a quelque chose de fascinant dans cette scène, une simplicité que je n'avais pas remarqué avant. Peut-être qu'il n'est pas seulement un intrus bruyant et trop charmant. Peut-être qu'il est...
Mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur cette pensée. Un client entre dans la librairie, et je retourne à mes livres, tentant de me concentrer sur ma routine. Pourtant, toute la journée, des images de Romain me traversent l'esprit. Pas son sourire trop éclatant ou ses phrases charmeuses, mais ce moment tranquille où il était simplement lui-même, arrangeant des chaises sous la lumière du matin.
Et pour la première fois depuis son arrivée, je ne me sens pas agacé. Pas complètement, du moins.
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Un été à Camden
RomantizmParticipe au concours New Romance sur Fyctia : https://www.fyctia.com/stories/un-ete-a-camden --------- Dans la charmante petite ville côtière de Camden, Maine, Matthew FOSTER mène une vie discrète à la tête de Windswept Pages, une librairie indépen...