L'Amérique. Je pensais avoir tout compris sur elle avant même d'y poser un pied. Enfant, c'était dans les films que je l'avais découverte : des avenues infinies, des gratte-ciel qui semblaient toucher les étoiles, des foules qui parlaient trop fort, trop vite. Quand je suis arrivé à New York pour la première fois, tout était exactement comme je l'avais imaginé, sauf moi.
Je me souviens encore de mes premiers jours en tant que pâtissier dans un restaurant étoilé. Les cuisines brûlantes où le stress vous assaille comme un feu constant, les chefs qui criaient, les plateaux qui s'empilaient, et cette exigence de perfection qui m'avait d'abord fasciné, avant de me broyer. J'avais cru que c'était ça, réussir. Que travailler quinze heures par jour dans une ville qui ne dort jamais prouverait que j'étais à la hauteur.
Mais un jour, au milieu d'un service du soir, ma main a tremblé en tenant une poche à douille. Une simple ligne de glaçage sur un gâteau. Je l'ai ratée. C'est un détail, presque rien, mais c'était une fissure dans cette armure de perfection que je m'étais imposée. J'ai commencé à voir toutes les fissures après ça. Les nuits sans sommeil, les week-ends inexistants, et ce silence dans ma tête quand je rentrais seul dans mon studio minuscule.
J'ai tenu deux ans à New York avant de comprendre que je n'avais plus envie de me prouver quoi que ce soit. Et avant New York, il y avait eu Paris.
Paris était plus cruel, d'une certaine manière. La ville était magnifique, mais froide dans sa quête de prestige. J'avais travaillé dans des cuisines célèbres, fréquenté des chefs légendaires, mais tout semblait calibré pour paraître parfait aux yeux des autres. Et puis, il y avait eu lui. Mon ancien patron. Mon premier amour, aussi, ou ce que je croyais être de l'amour. C'était un homme plus âgé, brillant, mais aussi exigeant et manipulateur. Il m'avait poussé à donner tout ce que j'avais, puis m'avait laissé complètement vide. Quand j'ai quitté Paris, je m'étais promis de ne plus jamais laisser quelqu'un me faire douter de moi.
Alors, j'ai cherché un endroit où recommencer. Un lieu qui n'était pas une capitale frénétique, un endroit où je pourrais être simplement moi, sans avoir à impressionner qui que ce soit. Et après des mois de recherches, j'ai trouvé Camden.
Camden est apparue dans ma vie par hasard, à travers un article dans un magazine de voyage. « La petite ville côtière qui semble hors du temps », disait-il. La photo montrait des bateaux amarrés dans un port calme, des rues pavées bordées de maisons en bois, et un marché en plein air où des locaux souriaient à la caméra. J'ai su immédiatement que c'était là que je voulais aller. J'ai vendu tout ce que je possédais, fait mes valises, et j'ai pris un vol pour Boston avant de prendre la route vers le nord.
En arrivant ici, je suis tombé amoureux. Pas des gens – je n'en connaissais encore aucun – mais de l'ambiance. La lenteur, la simplicité, l'impression que rien n'était urgent. J'ai marché dans les rues pavées de Camden, et en passant devant un local vide avec une grande vitrine, j'ai senti que c'était exactement ce dont j'avais besoin.
Aujourd'hui, ce local est en pleine métamorphose. L'Éclaircie prend forme. Ce n'est pas encore parfait, mais je peux déjà visualiser ce que ça deviendra. Du bois clair, des couleurs qui rappellent la mer, et une vitrine pleine de pâtisseries qui attireront les curieux. Pas seulement des éclairs, bien sûr, même si j'en ai une recette qui ferait pleurer ma grand-mère, mais aussi des tartes légères, des croissants au beurre parfaits, et peut-être même quelques desserts américains revisités.
Je traverse la rue pour observer le résultat d'ensemble. Mes cheveux blonds, un peu en bataille, tombent sur mon front, et je les repousse distraitement. J'ai toujours été grand, un peu trop pour une cuisine où l'on passe sa vie à se baisser, mais j'aime penser que ma silhouette imposante est adoucie par mon sourire. Les gens me l'ont souvent dit, que je souris trop. Moi, je pense qu'on ne sourit jamais assez. Mes yeux gris-bleus captent un instant le reflet dans la vitrine du local voisin.
Windswept Pages, indique l'enseigne effacée. Une librairie. Rien que l'idée me fait sourire. Les livres et les pâtisseries. Ce sont deux choses qui rendent la vie plus douce, non ?
J'observe l'intérieur. Un comptoir en bois foncé, des étagères remplies de livres qui semblent avoir été choisis avec soin, et, derrière le comptoir, un homme. Brun, cheveux coupés courts, des lunettes qui glissent un peu sur son nez. Il est grand, mais plus mince que moi, avec une posture droite, presque rigide. Même d'ici, je peux deviner la précision de ses gestes. Il range une pile de livres, les ajustant avec une attention méticuleuse.
Il a l'air... tranquille. Peut-être un peu trop. Je grimace légèrement en repensant aux marteaux et aux perceuses qui n'ont cessé de résonner toute la matinée. Pas exactement la meilleure façon de se présenter à un voisin.
Je reste un moment immobile, à réfléchir. Peut-être que je devrais briser la glace, m'excuser pour le dérangement. Je pourrais lui offrir un éclair ou deux une fois que tout sera prêt. Oui, je vais attendre que tout soit parfait avant de franchir cette porte.
Je retourne dans la pâtisserie, où les ouvriers continuent de s'activer.
— Alors, chef, vous êtes content ? demande l'un d'eux en essuyant ses mains pleines de poussière sur son pantalon.
Je passe une main sur le comptoir fraîchement installé, les coins encore légèrement collants de peinture.
— Oui, ça commence à ressembler à quelque chose.
Je jette un dernier regard à la vitrine. À travers elle, on peut voir un monde simple et doux, celui de Camden. Ma nouvelle vie s'apprête à commencer, et je l'espère plus heureuse que par le passé.
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Un été à Camden
RomanceParticipe au concours New Romance sur Fyctia : https://www.fyctia.com/stories/un-ete-a-camden --------- Dans la charmante petite ville côtière de Camden, Maine, Matthew FOSTER mène une vie discrète à la tête de Windswept Pages, une librairie indépen...